Après avoir beaucoup hésité, nous avons finalement décidé de publier ce texte dans ouvrage paru il y a cinq ou six mois, Nous sommes des nains sur les épaules d’un géant Aimé Césaire, qui n’a pas semblé intéresser beaucoup nos lecteurs. Macakla nous ayant fait l’honneur de reprendre la publication d’un blog que notre négligence avait laissé disparaître, Le-devoir-de-cohérence, nous nous proposons de publier ici ce qui nous paraît particulièrement mériter de retenir l’attention de tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de leur pays.
Parmi les 4 acquis que nous estimons fondamentaux du césairisme - nous aurons bien entendu l’occasion de revenir sur les trois autres –celui-ci nous paraît de loin le plus important, aujourd’hui peut être encore plus qu’il y a 30 ans :
LA SUPÉRIORITÉ D’UNE STRATEGIE DU RASSEMBLEMENT POUR L’ACTION SUR CELLE D’UNE STRATEGIE DE LA CLARIFICATION CONDUISANT A L’ISOLEMENT ET A LA DIVISION.
C’est peut-être le principal apport Césaire à la vie politique de notre pays. Nous avons vécu depuis un siècle une incroyable série de guerres fratricides entre nos grands hommes politiques : entre Hurard et Deproge, entre Sévère et Lagrosillière, entre Lagros et Monnerot, entre Césaire et Véry, entre Gratiant et Sablé, entre autonomistes et départementalistes depuis trente ans, sans parler de cette gauche plus ultra qu’extrême dont le PPM est l’ennemi préféré.
Je ne suis pas sûr que Césaire ait eu raison de faire de ces guerres picrocholines un des produits venus d’ailleurs et artificiellement branchés sur nos politiques locales, comme il l’écrit dans la Lettre à Maurice Thorez. La lutte des classes est une réalité mondiale. Elle est aussi martiniquaise qu’européenne, africaine, américaine ou asiatique. C’est un autre débat que je me propose de lancer dans le parti.
Mais il est tout à fait exact que dans une situation coloniale comme la nôtre, il est d’une certaine manière suicidaire de ne pas chercher à réduire les tensions, à apaiser les esprits, à calmer le jeu au lieu de chercher l’affrontement, comme cela nous arrive encore trop souvent.
C’est sans doute le trait le plus original de ce que nous appelons le césairisme. C’est aussi le plus difficile à faire admettre par des hommes et des femmes qui ont, si je puis dire, la lutte de classes inscrite dans leurs gènes. On peut comprendre que la recherche du consensus, qui est au principe de toute revendication nationale, ne soit pas apparue comme une urgence dans un pays comme le nôtre.
Sur un territoire exigu, pour un peuple constitué de bric et de broc, d’autochtones, dont il ne reste pas grand-chose, il est vrai, d’aventuriers blancs venus de France, d’esclaves noirs importés d’Afrique, d’Indiens ou de Chinois arrivés plus tardivement, tous parlant des langues différentes, avec des croyances différentes, des coutumes différentes, des religions différentes, des traditions différentes, l’urgence ne peut pas être la même pour les uns et pour les autres. Pour le colon l’urgence est de faire fortune le plus rapidement possible, avec le plus souvent l’intention de repartir fortune faite. Pour le plus grand nombre, c’est-à-dire pour les masses serviles, l’urgence est de survivre.
Ajoutons que dans une société où la lutte des classes a été pendant longtemps d’une grande violence, où les antagonismes de races ont été tellement marqués, il peut sembler normal que les tendances à la division l’aient emporté sur l’instinct du regroupement.
La question de savoir pourquoi ce n’est pas la tendance aux alentours, est certainement l’une des questions majeures de notre histoire, mais aussi l’une des plus embarrassantes. Je me la pose depuis plus de trente ans, sans pouvoir y apporter une réponse qui me satisfasse pleinement. Je n’ai évidem- ment pas la prétention d’y répondre en quelques mots dans une réunion de notre balisier. Ni d’y répondre tout seul. J’ai proposé au Bureau Politique du Parti la création d’un petit groupe de camarades autour de Camille Darsières, qui en a d’ores et déjà accepté le principe, malgré nos divergences persistantes sur ce sujet.
Tout le monde sait que Camille Darsières a écrit il y a quelque temps un ouvrage Des Origines de la nation martiniquaise. J’y ai répondu par un pamphlet courtois, mais sans complaisance, Questions sur l’Histoire Antillaise. J’espère que certains d’entre vous les ont lus.
Je n’étais pas encore au Parti et, à l’époque, je ne pensais pas y adhérer. Mais, sauf sur mes convictions indépendantistes que je gardais encore au moment de mon adhésion, je n’ai pas trouvé grand-chose à en retrancher dix ans plus tard. Signe peut-être que j’étais moins loin du PPM que je ne le croyais. Ou tout simplement que le PPM n’est pas un PPU, un Parti de la Pensée Unique, comme ont tendance à le croire ceux qui connaissent mal ce parti et qui refusent par principe de l’étudier sérieusement.
Ce n’est pas un Parti de la Pensée Unique, nous le vérifions tous les jours. Mais ce n’est pas une auberge espagnole où chacun vient avec son manger. N’importe qui ne peut pas y entrer et y affirmer n’importe quoi en son nom. Ce Parti a perdu très tôt des hommes, pas tous de mauvaise foi, qui se sont rendus compte, après coup, qu’ils s’étaient trompés. Ils n’avaient pas compris ou ils avaient mal compris toutes les implications de leur adhésion au parti d’Aimé Césaire.
On oublie souvent qu’Émile Maurice, a été non seulement un conseiller général PPM (cantonales de 1958 à Saint-Joseph,) et le suppléant de Césaire aux élections législatives de 1958, mais le premier responsable de la jeunesse du PPM au premier Congrès du Parti, que le sénateur Georges Marie-Anne a été un sénateur PPM, que MM. Albert Joyau (Prêcheur), Ernest Renard (Bellefontaine), Isambert Cléoron (Sainte-Anne), Jean-Baptiste Edmond (Fonds-Saint-Denis)1 ont été élus avec l’étiquette PPM.
Une courte remarque sur cette petite bourgeoisie, jadis si fière d’elle-même. Elle prend aujourd’hui un plaisir macabre à s’humilier elle-même, en se plaçant sous la protection du pouvoir auquel il lui est arrivé de s’opposer et, parfois, de s’imposer. L’un des grands mérites de Césaire est d’avoir pris le risque de la déniaiser. Il est vrai que, quand il a tenté de revaloriser ces classes moyennes qui ont pendant si longtemps joué un rôle éminent dans les grandes batailles pour l’égalité, pour les libertés démocratiques, pour le suffrage universel, pour l’instruction publique gratuite et obligatoire, pour l’organisation des travailleurs et pour les libertés syndicales, pour le droit des travailleurs, ce qu’ont retenu les paléo-staliniens, ce n’est pas la contribution de ces classes moyennes au progrès des plus déshérités, c’est « l’abandon des positions de la classe ouvrière ».
Quand, dans un pays si cruellement divisé, Césaire préconise, en 1956, un vaste rassemblement, pour la satisfaction des besoins de l’ensemble du pays, sur une base beaucoup plus pragmatique qu’idéologique, il se fait incendier par ceux-là mêmes qui passent leur temps à appeler au front unique anticolonialiste comme si ce front pouvait être le front de la classe ouvrière avec elle-même.
Le procès d’intention fait à la formule « j’opte pour le plus large contre le plus étroit », la phrase, peut-être, la plus importante de la Lettre à Maurice Thorez, est ridicule et, à certains égards, odieux. De cette formule lancée, il y a 31 ans, au mot d’ordre de notre dernière campagne des élections régionales,
« Martiniquaises, Martiniquais, ensemble construisons notre Martinique », Césaire et le PPM n’ont pas cessé d’œuvrer à cette stratégie unitaire qui a fini par s’imposer à toute la gauche et par rassembler autour de celle-ci des forces jusque-là indécises, hésitantes et parfois hostiles.
Nous ne sommes pas naïfs au point de croire que la question est définitivement réglée, qu’il n’y aura plus jamais ni à-coups, ni contrecoups, ni faux pas, ni même revirements. Mais qui peut sérieusement soutenir que les choses ne vont pas mieux pour la gauche aujourd’hui qu’au temps de la Convention du Morne-Rouge (1971), de son actualisation de Sainte-Anne (Guadeloupe, 1977) ou au temps de l’incroyable gâchis de la période des dernières élections présidentielles quand l’ultra gauche et le PC appelaient à l’abstention ou au boycott ?
Aussi bien le PPM, peut-il légitimement estimer, à la veille de son trentième anniversaire, que si, aujourd’hui, à la Martinique, nous nous sentons de plus en plus nègres, de plus en plus Martiniquais, de plus en plus socialistes, de plus en plus démocrates et de plus en plus unitaires, c’est en grande partie à Césaire que nous le devons.
En sorte que, en dépit des inévitable difficultés de la lutte politique, en dépit des mauvaises passes et des épreuves pénibles que nous avons traversées, nous avons, globalement, quelques bonnes raisons d’être fiers de ce que nous avons fait au cours de ces 29 dernières années 1958-1987.
Notes
1. Il a même revendiqué l’honneur d’avoir la première carte du PPM.
Parmi les 4 acquis que nous estimons fondamentaux du césairisme - nous aurons bien entendu l’occasion de revenir sur les trois autres –celui-ci nous paraît de loin le plus important, aujourd’hui peut être encore plus qu’il y a 30 ans :
LA SUPÉRIORITÉ D’UNE STRATEGIE DU RASSEMBLEMENT POUR L’ACTION SUR CELLE D’UNE STRATEGIE DE LA CLARIFICATION CONDUISANT A L’ISOLEMENT ET A LA DIVISION.
C’est peut-être le principal apport Césaire à la vie politique de notre pays. Nous avons vécu depuis un siècle une incroyable série de guerres fratricides entre nos grands hommes politiques : entre Hurard et Deproge, entre Sévère et Lagrosillière, entre Lagros et Monnerot, entre Césaire et Véry, entre Gratiant et Sablé, entre autonomistes et départementalistes depuis trente ans, sans parler de cette gauche plus ultra qu’extrême dont le PPM est l’ennemi préféré.
Je ne suis pas sûr que Césaire ait eu raison de faire de ces guerres picrocholines un des produits venus d’ailleurs et artificiellement branchés sur nos politiques locales, comme il l’écrit dans la Lettre à Maurice Thorez. La lutte des classes est une réalité mondiale. Elle est aussi martiniquaise qu’européenne, africaine, américaine ou asiatique. C’est un autre débat que je me propose de lancer dans le parti.
Mais il est tout à fait exact que dans une situation coloniale comme la nôtre, il est d’une certaine manière suicidaire de ne pas chercher à réduire les tensions, à apaiser les esprits, à calmer le jeu au lieu de chercher l’affrontement, comme cela nous arrive encore trop souvent.
C’est sans doute le trait le plus original de ce que nous appelons le césairisme. C’est aussi le plus difficile à faire admettre par des hommes et des femmes qui ont, si je puis dire, la lutte de classes inscrite dans leurs gènes. On peut comprendre que la recherche du consensus, qui est au principe de toute revendication nationale, ne soit pas apparue comme une urgence dans un pays comme le nôtre.
Sur un territoire exigu, pour un peuple constitué de bric et de broc, d’autochtones, dont il ne reste pas grand-chose, il est vrai, d’aventuriers blancs venus de France, d’esclaves noirs importés d’Afrique, d’Indiens ou de Chinois arrivés plus tardivement, tous parlant des langues différentes, avec des croyances différentes, des coutumes différentes, des religions différentes, des traditions différentes, l’urgence ne peut pas être la même pour les uns et pour les autres. Pour le colon l’urgence est de faire fortune le plus rapidement possible, avec le plus souvent l’intention de repartir fortune faite. Pour le plus grand nombre, c’est-à-dire pour les masses serviles, l’urgence est de survivre.
Ajoutons que dans une société où la lutte des classes a été pendant longtemps d’une grande violence, où les antagonismes de races ont été tellement marqués, il peut sembler normal que les tendances à la division l’aient emporté sur l’instinct du regroupement.
La question de savoir pourquoi ce n’est pas la tendance aux alentours, est certainement l’une des questions majeures de notre histoire, mais aussi l’une des plus embarrassantes. Je me la pose depuis plus de trente ans, sans pouvoir y apporter une réponse qui me satisfasse pleinement. Je n’ai évidem- ment pas la prétention d’y répondre en quelques mots dans une réunion de notre balisier. Ni d’y répondre tout seul. J’ai proposé au Bureau Politique du Parti la création d’un petit groupe de camarades autour de Camille Darsières, qui en a d’ores et déjà accepté le principe, malgré nos divergences persistantes sur ce sujet.
Tout le monde sait que Camille Darsières a écrit il y a quelque temps un ouvrage Des Origines de la nation martiniquaise. J’y ai répondu par un pamphlet courtois, mais sans complaisance, Questions sur l’Histoire Antillaise. J’espère que certains d’entre vous les ont lus.
Je n’étais pas encore au Parti et, à l’époque, je ne pensais pas y adhérer. Mais, sauf sur mes convictions indépendantistes que je gardais encore au moment de mon adhésion, je n’ai pas trouvé grand-chose à en retrancher dix ans plus tard. Signe peut-être que j’étais moins loin du PPM que je ne le croyais. Ou tout simplement que le PPM n’est pas un PPU, un Parti de la Pensée Unique, comme ont tendance à le croire ceux qui connaissent mal ce parti et qui refusent par principe de l’étudier sérieusement.
Ce n’est pas un Parti de la Pensée Unique, nous le vérifions tous les jours. Mais ce n’est pas une auberge espagnole où chacun vient avec son manger. N’importe qui ne peut pas y entrer et y affirmer n’importe quoi en son nom. Ce Parti a perdu très tôt des hommes, pas tous de mauvaise foi, qui se sont rendus compte, après coup, qu’ils s’étaient trompés. Ils n’avaient pas compris ou ils avaient mal compris toutes les implications de leur adhésion au parti d’Aimé Césaire.
On oublie souvent qu’Émile Maurice, a été non seulement un conseiller général PPM (cantonales de 1958 à Saint-Joseph,) et le suppléant de Césaire aux élections législatives de 1958, mais le premier responsable de la jeunesse du PPM au premier Congrès du Parti, que le sénateur Georges Marie-Anne a été un sénateur PPM, que MM. Albert Joyau (Prêcheur), Ernest Renard (Bellefontaine), Isambert Cléoron (Sainte-Anne), Jean-Baptiste Edmond (Fonds-Saint-Denis)1 ont été élus avec l’étiquette PPM.
Une courte remarque sur cette petite bourgeoisie, jadis si fière d’elle-même. Elle prend aujourd’hui un plaisir macabre à s’humilier elle-même, en se plaçant sous la protection du pouvoir auquel il lui est arrivé de s’opposer et, parfois, de s’imposer. L’un des grands mérites de Césaire est d’avoir pris le risque de la déniaiser. Il est vrai que, quand il a tenté de revaloriser ces classes moyennes qui ont pendant si longtemps joué un rôle éminent dans les grandes batailles pour l’égalité, pour les libertés démocratiques, pour le suffrage universel, pour l’instruction publique gratuite et obligatoire, pour l’organisation des travailleurs et pour les libertés syndicales, pour le droit des travailleurs, ce qu’ont retenu les paléo-staliniens, ce n’est pas la contribution de ces classes moyennes au progrès des plus déshérités, c’est « l’abandon des positions de la classe ouvrière ».
Quand, dans un pays si cruellement divisé, Césaire préconise, en 1956, un vaste rassemblement, pour la satisfaction des besoins de l’ensemble du pays, sur une base beaucoup plus pragmatique qu’idéologique, il se fait incendier par ceux-là mêmes qui passent leur temps à appeler au front unique anticolonialiste comme si ce front pouvait être le front de la classe ouvrière avec elle-même.
Le procès d’intention fait à la formule « j’opte pour le plus large contre le plus étroit », la phrase, peut-être, la plus importante de la Lettre à Maurice Thorez, est ridicule et, à certains égards, odieux. De cette formule lancée, il y a 31 ans, au mot d’ordre de notre dernière campagne des élections régionales,
« Martiniquaises, Martiniquais, ensemble construisons notre Martinique », Césaire et le PPM n’ont pas cessé d’œuvrer à cette stratégie unitaire qui a fini par s’imposer à toute la gauche et par rassembler autour de celle-ci des forces jusque-là indécises, hésitantes et parfois hostiles.
Nous ne sommes pas naïfs au point de croire que la question est définitivement réglée, qu’il n’y aura plus jamais ni à-coups, ni contrecoups, ni faux pas, ni même revirements. Mais qui peut sérieusement soutenir que les choses ne vont pas mieux pour la gauche aujourd’hui qu’au temps de la Convention du Morne-Rouge (1971), de son actualisation de Sainte-Anne (Guadeloupe, 1977) ou au temps de l’incroyable gâchis de la période des dernières élections présidentielles quand l’ultra gauche et le PC appelaient à l’abstention ou au boycott ?
Aussi bien le PPM, peut-il légitimement estimer, à la veille de son trentième anniversaire, que si, aujourd’hui, à la Martinique, nous nous sentons de plus en plus nègres, de plus en plus Martiniquais, de plus en plus socialistes, de plus en plus démocrates et de plus en plus unitaires, c’est en grande partie à Césaire que nous le devons.
En sorte que, en dépit des inévitable difficultés de la lutte politique, en dépit des mauvaises passes et des épreuves pénibles que nous avons traversées, nous avons, globalement, quelques bonnes raisons d’être fiers de ce que nous avons fait au cours de ces 29 dernières années 1958-1987.
Notes
1. Il a même revendiqué l’honneur d’avoir la première carte du PPM.