L’icône Gandhi va-t-elle trébucher ? Par Yves-Léopold Monthieux, Fort-de-France, le 10 octobre 2016
L’icône Gandhi va-t-elle trébucher ?
« Comme quoi, nul n’est complètement « pur » et « clair » dans les référencements historico-raciales… ». C’est par cette phrase qu’Antilla termine l’introduction de l’article parue au numéro 1737, « Gandhi, précurseur de l’apartheid ?... ». A cette affirmation négative qui pourrait être mienne, j’ajouterai, comme Martin Luther King, que tout homme a en lui un raciste qui sommeille. Mais de même qu’il n’y a pas d’amour sans preuves d’amour, en fait de racisme on ne retient que les actes. Les actes que son tempérament, son éducation, ses convictions religieuses, ou plus généralement sa culture, n’ont pas su permettre à l’individu de réfréner.
En effet, depuis quelques mois monte une petite musique qui tend à remettre en cause la statue de Mahatma Gandhi. Valeur refuge au lendemain des deux guerres mondiales et au temps de la guerre froide, la stature de cet homme a servi de modèle au monde entier pendant près d’un siècle. Pourtant aucune des révélations qui viennent écorner la réputation de l’homme illustre n’était inconnue. Sauf que des déclarations qui étaient naguère jugées iconoclastes sont possibles aujourd’hui.
En effet, rien ne paraît devoir résister au vent actuel d’irrespect à l’égard du convenu et aucune accusation de révisionnisme ne peut s’opposer à la nouvelle lecture de l’histoire. Songeons que sous la pression de l’outre-mer, la France avait dû renoncer à commémorer la victoire d’Austerlitz. Des associations avaient rappelé la part d’ombre de Napoléon, qui avait notamment rétabli l’esclavage en 1802.
Voilà donc venu le temps de mettre au jour la part d’ombre du père de l’indépendance de l’Inde et de faire trébucher la figure historique de la non-violence. Existe-t-il vraiment des hommes et de femmes illustres qui n’aient pas connu un intermède peu noble au cours de leur vie, surtout si celle-ci a été longue. Il est vrai qu’un héros qui meurt à 30 ans peut prétendre à une postérité étale. Il est indéniable que Fanon, décédé à 36 ans, s’expose moins aux mauvaises surprises de la postérité que Césaire qui a été presque centenaire. La disparition prématurée de l’homme des Damnées de la terre l’a peut-être épargné de possibles retournements.
Au vu de l’article d’Antilla, je retire de ma machine les extraits d’un texte que j’avais renoncé à publier. Il m’avait été inspiré par un argument tiré par Gerry Létang d’une opinion exprimée par le trinidadien V.S Naipaul. Celui-ci estime qu’il y a en Martinique inflation du patronyme Schoelcher. « Célébrer Schoelcher à ce point, dit le prix Nobel ou l’anthropologue, lui-même, c'est oblitérer d'autres abolitionnistes comme Cyrille-Charles Bissette ». Cette phrase ne manque pas de pertinence, mais son auteur ne peut pas ignorer qu’on ne revient jamais bredouille de la chasse à l’épiderme ni indemne de la culture de l’anachronisme. Ajoutant la touche raciale qui accompagne souvent nos débats, Gerry Létang soulignait qu’après l'abolition de l’esclavage Victor Schoelcher avait eu des « propos infamants à l'égard des Indiens ».
On sait que, par ailleurs, comme la plupart des anti-esclavagistes, Schoelcher avait été favorable à la suppression progressive de l’esclavage pour tenir compte des intérêts économiques de la France. Condorcet l’avait été avant lui, qui aura été repêché, si l’on peut dire, 200 ans après ses Réflexions sur l’esclavage des nègres. A l’inverse, l’image de Jules Ferry, père de l’école laïque, s’est assombrie depuis que furent révélées ses positions esclavagistes. La réputation de ce franc-maçon est tout à coup mise en équilibre au trébuchet de l’histoire. Bien qu’étant un acteur incontestable de l’abolition de l’esclavage, Schoelcher n’échappe pas à l’inventaire de l’époque. Les Indiens furent victimes de racisme de la part de tous : Blancs, Noirs et Mulâtres, qu’ils soient colons, anciens esclaves, anciens libres, Francs-maçons ou autres intellectuels.
Cependant j’ajoutais que les propos de Schoelcher relevés par Gerry Létang sont loin d’avoir atteint en gravité la thèse de l’infériorité de la race noire théorisée par Gandhi, alors qu’il vivait en Afrique du Sud. « Nous croyons en la pureté raciale, disait-il. Nous croyons aussi qu’en tant que Blancs, la race blanche d’Afrique du Sud doit être la race prédominante ».
Et pire, si l’on peut dire : « Les Indiens natifs (noirs) n’ont rien apporté à l’Inde, et doivent leur prospérité aux Indiens (à la peau blanche) ». Un tel discours, en raison de la personnalité de celui qui l’a porté, n’a pas pu demeurer sans résonance.
Il n’en reste pas moins que Gandhi reste Gandhi, écrivais-je. Cependant les attaques des intellectuels du Ghana qui viennent après des manifestations anti-Africains en Inde, ne conduisent-elles pas à se poser à nouveau la question : Gandhi sera-t-il toujours Gandhi ? Reste que la réflexion d’Antilla peut également servir de conclusion, laquelle devrait faire réfléchir plus d’un adepte du déboulonnage de statue : « Nul n’est complètement « pur » et « clair » dans les référencements historico-raciales… ».
Yves-Léopold Monthieux, Fort-de-France, le 10 octobre 2016
« Comme quoi, nul n’est complètement « pur » et « clair » dans les référencements historico-raciales… ». C’est par cette phrase qu’Antilla termine l’introduction de l’article parue au numéro 1737, « Gandhi, précurseur de l’apartheid ?... ». A cette affirmation négative qui pourrait être mienne, j’ajouterai, comme Martin Luther King, que tout homme a en lui un raciste qui sommeille. Mais de même qu’il n’y a pas d’amour sans preuves d’amour, en fait de racisme on ne retient que les actes. Les actes que son tempérament, son éducation, ses convictions religieuses, ou plus généralement sa culture, n’ont pas su permettre à l’individu de réfréner.
En effet, depuis quelques mois monte une petite musique qui tend à remettre en cause la statue de Mahatma Gandhi. Valeur refuge au lendemain des deux guerres mondiales et au temps de la guerre froide, la stature de cet homme a servi de modèle au monde entier pendant près d’un siècle. Pourtant aucune des révélations qui viennent écorner la réputation de l’homme illustre n’était inconnue. Sauf que des déclarations qui étaient naguère jugées iconoclastes sont possibles aujourd’hui.
En effet, rien ne paraît devoir résister au vent actuel d’irrespect à l’égard du convenu et aucune accusation de révisionnisme ne peut s’opposer à la nouvelle lecture de l’histoire. Songeons que sous la pression de l’outre-mer, la France avait dû renoncer à commémorer la victoire d’Austerlitz. Des associations avaient rappelé la part d’ombre de Napoléon, qui avait notamment rétabli l’esclavage en 1802.
Voilà donc venu le temps de mettre au jour la part d’ombre du père de l’indépendance de l’Inde et de faire trébucher la figure historique de la non-violence. Existe-t-il vraiment des hommes et de femmes illustres qui n’aient pas connu un intermède peu noble au cours de leur vie, surtout si celle-ci a été longue. Il est vrai qu’un héros qui meurt à 30 ans peut prétendre à une postérité étale. Il est indéniable que Fanon, décédé à 36 ans, s’expose moins aux mauvaises surprises de la postérité que Césaire qui a été presque centenaire. La disparition prématurée de l’homme des Damnées de la terre l’a peut-être épargné de possibles retournements.
Au vu de l’article d’Antilla, je retire de ma machine les extraits d’un texte que j’avais renoncé à publier. Il m’avait été inspiré par un argument tiré par Gerry Létang d’une opinion exprimée par le trinidadien V.S Naipaul. Celui-ci estime qu’il y a en Martinique inflation du patronyme Schoelcher. « Célébrer Schoelcher à ce point, dit le prix Nobel ou l’anthropologue, lui-même, c'est oblitérer d'autres abolitionnistes comme Cyrille-Charles Bissette ». Cette phrase ne manque pas de pertinence, mais son auteur ne peut pas ignorer qu’on ne revient jamais bredouille de la chasse à l’épiderme ni indemne de la culture de l’anachronisme. Ajoutant la touche raciale qui accompagne souvent nos débats, Gerry Létang soulignait qu’après l'abolition de l’esclavage Victor Schoelcher avait eu des « propos infamants à l'égard des Indiens ».
On sait que, par ailleurs, comme la plupart des anti-esclavagistes, Schoelcher avait été favorable à la suppression progressive de l’esclavage pour tenir compte des intérêts économiques de la France. Condorcet l’avait été avant lui, qui aura été repêché, si l’on peut dire, 200 ans après ses Réflexions sur l’esclavage des nègres. A l’inverse, l’image de Jules Ferry, père de l’école laïque, s’est assombrie depuis que furent révélées ses positions esclavagistes. La réputation de ce franc-maçon est tout à coup mise en équilibre au trébuchet de l’histoire. Bien qu’étant un acteur incontestable de l’abolition de l’esclavage, Schoelcher n’échappe pas à l’inventaire de l’époque. Les Indiens furent victimes de racisme de la part de tous : Blancs, Noirs et Mulâtres, qu’ils soient colons, anciens esclaves, anciens libres, Francs-maçons ou autres intellectuels.
Cependant j’ajoutais que les propos de Schoelcher relevés par Gerry Létang sont loin d’avoir atteint en gravité la thèse de l’infériorité de la race noire théorisée par Gandhi, alors qu’il vivait en Afrique du Sud. « Nous croyons en la pureté raciale, disait-il. Nous croyons aussi qu’en tant que Blancs, la race blanche d’Afrique du Sud doit être la race prédominante ».
Et pire, si l’on peut dire : « Les Indiens natifs (noirs) n’ont rien apporté à l’Inde, et doivent leur prospérité aux Indiens (à la peau blanche) ». Un tel discours, en raison de la personnalité de celui qui l’a porté, n’a pas pu demeurer sans résonance.
Il n’en reste pas moins que Gandhi reste Gandhi, écrivais-je. Cependant les attaques des intellectuels du Ghana qui viennent après des manifestations anti-Africains en Inde, ne conduisent-elles pas à se poser à nouveau la question : Gandhi sera-t-il toujours Gandhi ? Reste que la réflexion d’Antilla peut également servir de conclusion, laquelle devrait faire réfléchir plus d’un adepte du déboulonnage de statue : « Nul n’est complètement « pur » et « clair » dans les référencements historico-raciales… ».
Yves-Léopold Monthieux, Fort-de-France, le 10 octobre 2016