Quelle femme resterait dans la prostitution à salaire égal ? Aucune. Ce n’est pas donc en termes de droit à faire commerce de son corps qu’il faut chercher à adopter une position mais en termes de violence légalisée. Non pas en termes de droit des clients mais en termes de devoir envers les prostituées. Brillant par leur absence de tous les débats depuis toujours, les clients de la prostitution sont aujourd’hui sous les feux des projecteurs grâce aux récentes «révélations» de Claude Guéant sur DSK.
A cette occasion, les attaques verbales fusent, alors que les arguments font défaut: il est parfaitement autorisé en France de recourir à des prostituées, pourvu qu’elles soient majeures. Seuls les faits commis au Carlton de Lille pourraient être reprochés à DSK, mais la présomption d’innocence commande de le considérer innocent face aux possibles accusations de complicité de proxénétisme et recel d’abus de biens, ces faits n’étant à ce jour pas avérés.
Par ailleurs, sa participation habituelle aux soirées libertines n’est plus un secret, et est matière à railleries, alors que le libertinage n’est pas un délit. Ainsi, juridiquement aujourd’hui rien ne peut lui être reproché. Mais bizarrement, les attaques dont il est l’objet semblent plus fortes que l’application du code pénal. Parce que ce n’est pas en sa qualité de citoyen qu’il est attaqué, mais en sa qualité d’homme.
La prostitution n'est pas le libertinage
Un Etat de droit se doit d’être éthiquement neutre, c’est pourquoi le libertinage comme la prostitution sont inattaquables sur le terrain de la morale. Il en est de même de tous les comportements sexuels imaginables, pourvu qu’ils n’atteignent pas aux droits et libertés d’autrui. Mais s’il est tout à fait justifié de ne pas remettre en cause le libertinage au titre de la liberté sexuelle, s’en tenir au même fondement juridique pour justifier la prostitution serait non seulement faux mais montrerait une indifférence profonde, voire une complicité passive face à ce qui est nécessaire de nommer une violence faite aux femmes. La prostitution est une violence faite aux femmes. Et doit être abolie.
La prostitution est vieille comme le monde et se renouvelle. De l’escorting aux sex tours, en passant par la prostitution estudiantine, elle est même devenue une cause défendue par certains et certaines, au nom de libertés qui sont devenues leur prison, et même pas dorée. La permission de la prostitution prend l’habit de la libération des mœurs alors qu’elle n’est que synonyme de misère et violence.
Au-delà de la lutte contre le proxénétisme, évidemment nécessaire, à maintenir et à développer, c’est le phénomène prostitutionnel en tant que tel dont il est temps de débattre.
Les hommes ont toujours justifié la prostitution par les faits d’un «mal nécessaire», d’un «rempart contre le viol», d’un remède à la misère sexuelle d’une certaine catégorie d’hommes et de son statut de «plus vieux métier du monde».
En somme, la prostitution existe parce qu’elle est d’utilité publique.
«Utilité publique», vraiment?
Et depuis la nuit des temps, c’est en ces termes que les possesseurs de pouvoir donnent à voir la chose, selon un paradigme mettant le corps des femmes au service des hommes, que les petits et grands sont éduqués, et c’est sur ce modèle hautement philosophique que notre société (qui n’est pas la seule) s’est construite.
Pourtant, les séquelles physiques et psychologiques dues à la soumission à des actes sexuels répétés et non désirés que connaissent les personnes qui se prostituent ou qui se sont prostituées sont aujourd’hui connues, mais apparemment ignorées.
Il s’agit d’une violence faite aux personnes, qui entrent dans le cadre des conséquences psychotraumatiques, (conséquences reconnues par la communauté scientifique médicale internationale comme pathognomonique c'est-à-dire comme une preuve médicale de l’existence d’un traumatisme).
Rien de moins que ce que ressentent les victimes de viols. Les prostituées opèrent une dissociation mentale, une «décorporalisation», comme une anesthésie corporelle, et connaissent ainsi par exemple, des seuils très élevés de résistance à la douleur. Et ce n’est qu’un exemple de moyen de défense développé par le corps et l’esprit.
Des souffrances que l'on retrouve chez les personnes torturées
C’est, entre autres, ce qui différencie fondamentalement le «métier» de prostituée d’autres métiers réputés difficiles. L’atteinte à l’intégrité du corps (problèmes immunitaires, troubles cutanées, problèmes gynécologiques et dermatologiques) et de l’esprit (60% à 80% des personnes prostituées souffrent de troubles psychotraumatiques sévères, chiffre semblable aux personnes ayant subi des actes de tortures et aux prisonniers politiques selon le rapport d’information d’avril 2011 précité) est flagrante et ne peut plus être niée en matière de prostitution.
Parmi les pays européens, certains sont abolitionnistes comme la Suède ou la Norvège, d’autres règlementaristes comme les Pays-Bas ou l’Allemagne.
Les Pays-Bas, qui ont choisi en 2000 de règlementer la prostitution, pour disent-ils, accroître et faciliter la surveillance de ce milieu, sont forcés de constater que les chiffres de la traite des êtres humains ont largement augmenté; de plus, un rapport du gouvernement norvégien de 2004, comparant les politiques suédoise et néerlandaise (ministère norvégien de la Justice et de l’Intérieur, Purchasing Sexual Services in Sweden and the Netherlands. Legal Regulation and Experiences, 2004) montre que la légalisation n’a pas empêché le proxénétisme au sein même du secteur légal de la prostitution, et un secteur illégal a même fait son apparition, deux données plus parlantes encore sur l’inefficacité relative de la légalisation.
L'échec hollandais
Un projet de loi a donc été présenté en décembre 2009, poursuivant le but de politique générale de décorrélation entre le proxénétisme et la prostitution, et qui propose, en désespoir de cause, de punir les clients de la traite (avec un système de certificat affiché sur la vitrine de la prostituée). Par ailleurs, le rapport d’information de la commission des lois publié le 11 avril 2011 et préalable à la Résolution débattue le 6 décembre devant l’Assemblée nationale, explique: «Cette conviction de l’inéluctabilité de la prostitution est si fortement ancrée dans les esprits que Mme Corinne Dettmeijer-Vermeulen, rapporteure nationale sur la traite des êtres humains, a vanté les mérites du modèle néerlandais en matière de lutte contre la traite en indiquant qu’il y avait eu près de 900 affaires de traite depuis 2000, contre environ 50 constatées en Suède, attribuant cette différence à l’efficacité de la politique néerlandaise en la matière.
Jamais n’a été évoquée l’idée que la réglementation de la prostitution pouvait constituer un encouragement à la prostitution et à la traite des êtres humains, dans un pays qui compterait pourtant dix fois plus de personnes prostituées que la Suède, pour une population deux fois supérieure.»
Enfin, les incohérences telles que celle portant sur le «Pôle emploi» hollandais, qui ne peut pas proposer d’emploi équivalent car «pas considérés comme appropriés», ou encore l’impossibilité de suivre une formation professionnelle en la matière, prouvent que malgré toute la «bonne» volonté du monde à faire de la prostitution un métier comme un autre, cela ne fonctionne pas.
La réussite suédoise
L’exemple hollandais est aussi parlant par l’échec que la Suède l’est par la réussite. En effet, la prostitution, analysée en violence faite aux femmes, y est interdite (incrimination des clients et des proxénètes, mais pas des prostituées, considérées comme des parties faibles) depuis une loi extra territoriale de 1999.
Un rapport suédois mené par le ministère de la Justice entre 2008 et 2010 sur l’évaluation de la pénalisation de la prostitution, confirme l’efficacité de la loi à plusieurs plans.
D’après le rapport, le nombre de prostituées de rue a diminué de moitié en dix ans, quand le chiffre des pays voisins (Danemark ou Norvège) a triplé. Le proxénétisme semble renoncer à s’installer en Suède au bénéfice de destinations plus «rentables», et pour l’année 2008, la demande d’achats de services sexuels a presque diminué de moitié, passant de 13,6% à 7,8% parmi les hommes suédois. Au surplus, son taux de viols est stable (ni hausse ni baisse depuis la loi).
Le rapport montre aussi que la loi a contribué à faire évoluer les esprits, à faire prendre conscience aux clients (qui, comme en France, ne sont pas des hommes en détresse affective ou sexuelle, mais en grande majorité des hommes «normaux», ordinaires souvent en couple et pères), grâce notamment à une grande campagne de sensibilisation à l’interdiction nouvelle comme à ses conséquences pénales, et surtout à l’analyse de base qui fonde l’interdiction: la prostitution est une violence.
Le secret de la réussite de la Suède réside dans la mise en place de moyens financiers colossaux pour faire appliquer la loi et pour financer le volet social.
L’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a, quant à elle, adopté le 4 octobre 2007 une résolution sur la prostitution «volontaire». Elle recommande une approche «pragmatique» face à l’inéluctabilité de la prostitution.
Le texte est fondé sur l’approche règlementariste (le rapporteur est hollandais), au point de ne citer que les pays prohibitionnistes et abolitionnistes concernant la prostitution clandestine, cachée, cherchant à montrer que l’absence de règlementarisme en est la cause.
Certaines formules, si candides, feraient sourire si elles ne touchaient pas un problème si grave («… en veillant à ce que les prostitué(e)s aient accès à des pratiques sexuelles sans danger et bénéficient de l’indépendance suffisante pour les imposer à leurs clients»); le cas de la Suède est évidemment mentionné, mais juste mentionné. Le rapport de la commission reste théorique, naïvement subjectif, et part perdant en niant le débat de fond. A l’instar des Pays-Bas.
Ce que peut faire la France
Il ne peut y avoir de prostitution volontaire, comme métier, comme ambition professionnelle, mais qu’une situation de prostitution par défaut.
Défaut d’amour, d’argent, d’ambition, d’estime de soi… Le lien entre prostitution et carences dans l’enfance (maltraitance, abandon, violences, abus…) n’est plus à prouver. Quelle femme resterait dans la prostitution à salaire égal? Aucune. Ce n’est pas donc en termes de droit à faire commerce de son corps qu’il faut chercher à adopter une position mais en termes de violence légalisée. Non pas en termes de droit des clients mais en termes de devoir envers les prostituées.
La France est aujourd’hui face à un choix:
• Soit elle opère un revirement de sa position abolitionniste pour suivre l’exemple hollandais, réglemente la prostitution et ouvre la porte à un proxénétisme décomplexé. Elle cherchera en vain à justifier qu’un proxénète légalisé vaut mieux qu’un proxénète illégal. Mais cette solution paraît heureusement peu probable au vu de la teneur et la coloration abolitionniste du rapport d’information précité.
• Soit elle demeure le pays abolitionniste tel que conçu en 1946, et dans cet immobilisme qui ressemble plus à un refus de choix qu’à un choix, puisqu’à la fois elle tolère la prostitution et les clients, mais empêche ce système prostitutionnel de fonctionner en interdisant le racolage; puisqu’elle dit lutter contre le proxénétisme mais refuse de s’attaquer à sa matière première qu’est la prostitution; enfin, puisqu’elle ignore purement et simplement un pan entier de ses principes juridiques au nom de la protection d’un seul, la liberté individuelle, ainsi que les conclusions médicales qui montrent les prostituées en situation d’immense détresse physique et psychologique.
Car même s’il ne suffit pas d’interdire une pratique pour la voir totalement disparaître, il ne faut pas espérer qu’elle puisse disparaître sans commencer par l’interdire.
Elle permet l’existence d’un marché où l’offre revient à être illicite (par l’interdiction des moyens de se faire connaître) mais pas la demande, sans le justifier socialement, ni philosophiquement, autrement que par un renoncement au débat de fond qui devrait être à l’origine de toute décision politique. Non, la France ne doit pas rester dans cet immobilisme incohérent.
• Soit enfin, la France fait face à ses responsabilités de pays leader de la protection de la personne, de la dignité humaine, de la liberté sexuelle, protectrice du consentement contractuel quand il est donné librement, et reconnaît que la prostitution en tant que telle est avant tout une violence faite aux femmes; et, tout en restant dans la logique abolitionniste, se donne réellement les moyens de lutter contre la traite des êtres humains comme elle s’y est engagée en 1960, en pénalisant les clients de la prostitution, en encourageant la sortie de la prostitution par la mise en place de mesures, forcément provisoires mais réelles, concrètes et crédibles, en expliquant aux adolescents et aux adultes que la prostitution est une violence faite aux femmes, prouvée médicalement, qui s’assimile à une succession de viols, en menant une campagne de sensibilisation suffisamment expressive pour toucher tous les publics concernés (à savoir et avant tout l’homme «ordinaire»), parce que «la prostitution personnelle et privée ne relève que de la conscience et n’est pas un délit» (Convention internationale des Nations unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui du 2 décembre 1949), elle ne doit pas être punie, mais le système doit faire basculer la charge du risque, de la prostituée vers le client.
Les Pays-Bas qui semblent enlisés dans leur loi, enfermés dans cette légalisation, ne plus pouvoir reculer, auront au moins montré le chemin à ne pas emprunter.
La France, elle, peut encore choisir la voie de la démocratie et de l’égalité. Elle en a les moyens. En aura-t-elle le courage?
Jarod Barry
A cette occasion, les attaques verbales fusent, alors que les arguments font défaut: il est parfaitement autorisé en France de recourir à des prostituées, pourvu qu’elles soient majeures. Seuls les faits commis au Carlton de Lille pourraient être reprochés à DSK, mais la présomption d’innocence commande de le considérer innocent face aux possibles accusations de complicité de proxénétisme et recel d’abus de biens, ces faits n’étant à ce jour pas avérés.
Par ailleurs, sa participation habituelle aux soirées libertines n’est plus un secret, et est matière à railleries, alors que le libertinage n’est pas un délit. Ainsi, juridiquement aujourd’hui rien ne peut lui être reproché. Mais bizarrement, les attaques dont il est l’objet semblent plus fortes que l’application du code pénal. Parce que ce n’est pas en sa qualité de citoyen qu’il est attaqué, mais en sa qualité d’homme.
La prostitution n'est pas le libertinage
Un Etat de droit se doit d’être éthiquement neutre, c’est pourquoi le libertinage comme la prostitution sont inattaquables sur le terrain de la morale. Il en est de même de tous les comportements sexuels imaginables, pourvu qu’ils n’atteignent pas aux droits et libertés d’autrui. Mais s’il est tout à fait justifié de ne pas remettre en cause le libertinage au titre de la liberté sexuelle, s’en tenir au même fondement juridique pour justifier la prostitution serait non seulement faux mais montrerait une indifférence profonde, voire une complicité passive face à ce qui est nécessaire de nommer une violence faite aux femmes. La prostitution est une violence faite aux femmes. Et doit être abolie.
La prostitution est vieille comme le monde et se renouvelle. De l’escorting aux sex tours, en passant par la prostitution estudiantine, elle est même devenue une cause défendue par certains et certaines, au nom de libertés qui sont devenues leur prison, et même pas dorée. La permission de la prostitution prend l’habit de la libération des mœurs alors qu’elle n’est que synonyme de misère et violence.
Au-delà de la lutte contre le proxénétisme, évidemment nécessaire, à maintenir et à développer, c’est le phénomène prostitutionnel en tant que tel dont il est temps de débattre.
Les hommes ont toujours justifié la prostitution par les faits d’un «mal nécessaire», d’un «rempart contre le viol», d’un remède à la misère sexuelle d’une certaine catégorie d’hommes et de son statut de «plus vieux métier du monde».
En somme, la prostitution existe parce qu’elle est d’utilité publique.
«Utilité publique», vraiment?
Et depuis la nuit des temps, c’est en ces termes que les possesseurs de pouvoir donnent à voir la chose, selon un paradigme mettant le corps des femmes au service des hommes, que les petits et grands sont éduqués, et c’est sur ce modèle hautement philosophique que notre société (qui n’est pas la seule) s’est construite.
Pourtant, les séquelles physiques et psychologiques dues à la soumission à des actes sexuels répétés et non désirés que connaissent les personnes qui se prostituent ou qui se sont prostituées sont aujourd’hui connues, mais apparemment ignorées.
Il s’agit d’une violence faite aux personnes, qui entrent dans le cadre des conséquences psychotraumatiques, (conséquences reconnues par la communauté scientifique médicale internationale comme pathognomonique c'est-à-dire comme une preuve médicale de l’existence d’un traumatisme).
Rien de moins que ce que ressentent les victimes de viols. Les prostituées opèrent une dissociation mentale, une «décorporalisation», comme une anesthésie corporelle, et connaissent ainsi par exemple, des seuils très élevés de résistance à la douleur. Et ce n’est qu’un exemple de moyen de défense développé par le corps et l’esprit.
Des souffrances que l'on retrouve chez les personnes torturées
C’est, entre autres, ce qui différencie fondamentalement le «métier» de prostituée d’autres métiers réputés difficiles. L’atteinte à l’intégrité du corps (problèmes immunitaires, troubles cutanées, problèmes gynécologiques et dermatologiques) et de l’esprit (60% à 80% des personnes prostituées souffrent de troubles psychotraumatiques sévères, chiffre semblable aux personnes ayant subi des actes de tortures et aux prisonniers politiques selon le rapport d’information d’avril 2011 précité) est flagrante et ne peut plus être niée en matière de prostitution.
Parmi les pays européens, certains sont abolitionnistes comme la Suède ou la Norvège, d’autres règlementaristes comme les Pays-Bas ou l’Allemagne.
Les Pays-Bas, qui ont choisi en 2000 de règlementer la prostitution, pour disent-ils, accroître et faciliter la surveillance de ce milieu, sont forcés de constater que les chiffres de la traite des êtres humains ont largement augmenté; de plus, un rapport du gouvernement norvégien de 2004, comparant les politiques suédoise et néerlandaise (ministère norvégien de la Justice et de l’Intérieur, Purchasing Sexual Services in Sweden and the Netherlands. Legal Regulation and Experiences, 2004) montre que la légalisation n’a pas empêché le proxénétisme au sein même du secteur légal de la prostitution, et un secteur illégal a même fait son apparition, deux données plus parlantes encore sur l’inefficacité relative de la légalisation.
L'échec hollandais
Un projet de loi a donc été présenté en décembre 2009, poursuivant le but de politique générale de décorrélation entre le proxénétisme et la prostitution, et qui propose, en désespoir de cause, de punir les clients de la traite (avec un système de certificat affiché sur la vitrine de la prostituée). Par ailleurs, le rapport d’information de la commission des lois publié le 11 avril 2011 et préalable à la Résolution débattue le 6 décembre devant l’Assemblée nationale, explique: «Cette conviction de l’inéluctabilité de la prostitution est si fortement ancrée dans les esprits que Mme Corinne Dettmeijer-Vermeulen, rapporteure nationale sur la traite des êtres humains, a vanté les mérites du modèle néerlandais en matière de lutte contre la traite en indiquant qu’il y avait eu près de 900 affaires de traite depuis 2000, contre environ 50 constatées en Suède, attribuant cette différence à l’efficacité de la politique néerlandaise en la matière.
Jamais n’a été évoquée l’idée que la réglementation de la prostitution pouvait constituer un encouragement à la prostitution et à la traite des êtres humains, dans un pays qui compterait pourtant dix fois plus de personnes prostituées que la Suède, pour une population deux fois supérieure.»
Enfin, les incohérences telles que celle portant sur le «Pôle emploi» hollandais, qui ne peut pas proposer d’emploi équivalent car «pas considérés comme appropriés», ou encore l’impossibilité de suivre une formation professionnelle en la matière, prouvent que malgré toute la «bonne» volonté du monde à faire de la prostitution un métier comme un autre, cela ne fonctionne pas.
La réussite suédoise
L’exemple hollandais est aussi parlant par l’échec que la Suède l’est par la réussite. En effet, la prostitution, analysée en violence faite aux femmes, y est interdite (incrimination des clients et des proxénètes, mais pas des prostituées, considérées comme des parties faibles) depuis une loi extra territoriale de 1999.
Un rapport suédois mené par le ministère de la Justice entre 2008 et 2010 sur l’évaluation de la pénalisation de la prostitution, confirme l’efficacité de la loi à plusieurs plans.
D’après le rapport, le nombre de prostituées de rue a diminué de moitié en dix ans, quand le chiffre des pays voisins (Danemark ou Norvège) a triplé. Le proxénétisme semble renoncer à s’installer en Suède au bénéfice de destinations plus «rentables», et pour l’année 2008, la demande d’achats de services sexuels a presque diminué de moitié, passant de 13,6% à 7,8% parmi les hommes suédois. Au surplus, son taux de viols est stable (ni hausse ni baisse depuis la loi).
Le rapport montre aussi que la loi a contribué à faire évoluer les esprits, à faire prendre conscience aux clients (qui, comme en France, ne sont pas des hommes en détresse affective ou sexuelle, mais en grande majorité des hommes «normaux», ordinaires souvent en couple et pères), grâce notamment à une grande campagne de sensibilisation à l’interdiction nouvelle comme à ses conséquences pénales, et surtout à l’analyse de base qui fonde l’interdiction: la prostitution est une violence.
Le secret de la réussite de la Suède réside dans la mise en place de moyens financiers colossaux pour faire appliquer la loi et pour financer le volet social.
L’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a, quant à elle, adopté le 4 octobre 2007 une résolution sur la prostitution «volontaire». Elle recommande une approche «pragmatique» face à l’inéluctabilité de la prostitution.
Le texte est fondé sur l’approche règlementariste (le rapporteur est hollandais), au point de ne citer que les pays prohibitionnistes et abolitionnistes concernant la prostitution clandestine, cachée, cherchant à montrer que l’absence de règlementarisme en est la cause.
Certaines formules, si candides, feraient sourire si elles ne touchaient pas un problème si grave («… en veillant à ce que les prostitué(e)s aient accès à des pratiques sexuelles sans danger et bénéficient de l’indépendance suffisante pour les imposer à leurs clients»); le cas de la Suède est évidemment mentionné, mais juste mentionné. Le rapport de la commission reste théorique, naïvement subjectif, et part perdant en niant le débat de fond. A l’instar des Pays-Bas.
Ce que peut faire la France
Il ne peut y avoir de prostitution volontaire, comme métier, comme ambition professionnelle, mais qu’une situation de prostitution par défaut.
Défaut d’amour, d’argent, d’ambition, d’estime de soi… Le lien entre prostitution et carences dans l’enfance (maltraitance, abandon, violences, abus…) n’est plus à prouver. Quelle femme resterait dans la prostitution à salaire égal? Aucune. Ce n’est pas donc en termes de droit à faire commerce de son corps qu’il faut chercher à adopter une position mais en termes de violence légalisée. Non pas en termes de droit des clients mais en termes de devoir envers les prostituées.
La France est aujourd’hui face à un choix:
• Soit elle opère un revirement de sa position abolitionniste pour suivre l’exemple hollandais, réglemente la prostitution et ouvre la porte à un proxénétisme décomplexé. Elle cherchera en vain à justifier qu’un proxénète légalisé vaut mieux qu’un proxénète illégal. Mais cette solution paraît heureusement peu probable au vu de la teneur et la coloration abolitionniste du rapport d’information précité.
• Soit elle demeure le pays abolitionniste tel que conçu en 1946, et dans cet immobilisme qui ressemble plus à un refus de choix qu’à un choix, puisqu’à la fois elle tolère la prostitution et les clients, mais empêche ce système prostitutionnel de fonctionner en interdisant le racolage; puisqu’elle dit lutter contre le proxénétisme mais refuse de s’attaquer à sa matière première qu’est la prostitution; enfin, puisqu’elle ignore purement et simplement un pan entier de ses principes juridiques au nom de la protection d’un seul, la liberté individuelle, ainsi que les conclusions médicales qui montrent les prostituées en situation d’immense détresse physique et psychologique.
Car même s’il ne suffit pas d’interdire une pratique pour la voir totalement disparaître, il ne faut pas espérer qu’elle puisse disparaître sans commencer par l’interdire.
Elle permet l’existence d’un marché où l’offre revient à être illicite (par l’interdiction des moyens de se faire connaître) mais pas la demande, sans le justifier socialement, ni philosophiquement, autrement que par un renoncement au débat de fond qui devrait être à l’origine de toute décision politique. Non, la France ne doit pas rester dans cet immobilisme incohérent.
• Soit enfin, la France fait face à ses responsabilités de pays leader de la protection de la personne, de la dignité humaine, de la liberté sexuelle, protectrice du consentement contractuel quand il est donné librement, et reconnaît que la prostitution en tant que telle est avant tout une violence faite aux femmes; et, tout en restant dans la logique abolitionniste, se donne réellement les moyens de lutter contre la traite des êtres humains comme elle s’y est engagée en 1960, en pénalisant les clients de la prostitution, en encourageant la sortie de la prostitution par la mise en place de mesures, forcément provisoires mais réelles, concrètes et crédibles, en expliquant aux adolescents et aux adultes que la prostitution est une violence faite aux femmes, prouvée médicalement, qui s’assimile à une succession de viols, en menant une campagne de sensibilisation suffisamment expressive pour toucher tous les publics concernés (à savoir et avant tout l’homme «ordinaire»), parce que «la prostitution personnelle et privée ne relève que de la conscience et n’est pas un délit» (Convention internationale des Nations unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui du 2 décembre 1949), elle ne doit pas être punie, mais le système doit faire basculer la charge du risque, de la prostituée vers le client.
Les Pays-Bas qui semblent enlisés dans leur loi, enfermés dans cette légalisation, ne plus pouvoir reculer, auront au moins montré le chemin à ne pas emprunter.
La France, elle, peut encore choisir la voie de la démocratie et de l’égalité. Elle en a les moyens. En aura-t-elle le courage?
Jarod Barry