Voilà comment débute, sur Slate. Fr, l’article de Claude Askolovitch Admettons le crime contre l’humanité du colonialisme.
Ce titre aurait pu s’écrire par l’affirmatif tant l’adhésion de l’intellectuel à cette assertion paraît évidente. Il réagit à l’interview sur la colonisation française qu’a donnée Emmanuel Macron au cours de son récent séjour en Algérie. On connaît l’esprit vif et tranchant de ce turbulent chroniqueur que l’honnêteté intellectuelle n’interdit pas de revenir sur certaines de ses positions. La réaction de cette tribune ayant lieu dans l’urgence, je n’ai pas retrouvé l’article à charge qu’Askolovitch avait rédigé dans le Nouvel Obs, il y a une quinzaine d’années, contre Aimé Césaire et plus particulièrement contre Discours sur le colonialisme.
Je me souviens simplement que le chroniqueur était particulièrement remonté contre le poète pour le rapprochement que celui-ci avait fait entre le nazisme et le colonialisme. Son ascendance juive avait pu être regardée comme l’un des motifs de sa position intransigeante. Mais ce fut très certainement à tort s’il est vrai que l’auteur a parfois été considéré comme un islamophile. Les suites épistolaires de sa visite à Serge Letchimy, alors jeune maire de Fort-de-France, confirmait l’existence d’un climat plutôt frais entre le journaliste et la Césairie. C’est pourquoi il peut paraître surprenant que Claude Askolovitch s’appuie avec une telle empathie sur le même « discours » pour expliquer voire justifier la déclaration d’Emmanuel Macron à un journaliste algérien.
Il n’est pas sûr que la promptitude de sa réaction ne soit pas, en réalité, après mûre réflexion, une « correction » qui aurait trouvé dans la déclaration de Macron l’occasion de se livrer au grand jour. Le journaliste pousse assez loin ce qui s’apparente à la repentance de celui qui renonce aux « délicatesses hypocrites de notre âge ». Il reprend à son compte en usant de guillemets l’essentiel de l’argumentation de Césaire dont je ne cite que la phrase qui suit, de Discours : «On me parle de progrès, de "réalisations", de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d’eux-mêmes. Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, des cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées. On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemin de fer ». Pour le reste, renvoyons le lecteur à l’article qui mérite mieux que ce modeste commentaire. Les abondantes citations de Césaire pourraient dispenser certains de lire son livre et permettre à d’autres de mieux le comprendre.
Il reste que les définitions des crimes commis sur les sociétés sont évolutives, ils emportent dans leurs évolutions des certitudes qui paraissaient bien assises et font parfois tituber l’histoire. Elles ne sont plus à rechercher dans le Petit Larousse mais dans les cerveaux et les cœurs de ceux qui les subissent. La plasticité de la Toile semble mieux convenir à ces mutations imposées d’en bas. Certes, la colonisation et même l’esclavage ne furent pas des génocides en ce qu’ils n’avaient pas pour but de supprimer des peuples comme ce fut le cas pour les Juifs, mais obéissaient à un intérêt économique. Il y avait donc mieux à faire des esclaves ou des colonisés qu’à les supprimer. La distinction entre ces notions ne tient qu’à un fil, lequel semble avoir été rompu pour qualifier la colonisation, comme l’esclavage, de crime contre l’humanité.
En cette année 2017, la déclaration d’Emmanuel Macron exprimée dans le double contexte de l’élection présidentielle et de l’affaire Théo n’est pas vraiment contestée, l’essentiel des critiques portant sur l’opportunité du propos. Le hiatus de l’aspect économique résistera-t-il à l’évolution sémantique ? Sinon le caractère utilitaire du colonisé ou de l’esclave a-t-il pu, seul, épargner ces derniers du destin génocidaire qu’avaient connu les Caraïbes ?
Fort-de-France, le 19 février 2017
Yves-Léopold Monthieux
Je me souviens simplement que le chroniqueur était particulièrement remonté contre le poète pour le rapprochement que celui-ci avait fait entre le nazisme et le colonialisme. Son ascendance juive avait pu être regardée comme l’un des motifs de sa position intransigeante. Mais ce fut très certainement à tort s’il est vrai que l’auteur a parfois été considéré comme un islamophile. Les suites épistolaires de sa visite à Serge Letchimy, alors jeune maire de Fort-de-France, confirmait l’existence d’un climat plutôt frais entre le journaliste et la Césairie. C’est pourquoi il peut paraître surprenant que Claude Askolovitch s’appuie avec une telle empathie sur le même « discours » pour expliquer voire justifier la déclaration d’Emmanuel Macron à un journaliste algérien.
Il n’est pas sûr que la promptitude de sa réaction ne soit pas, en réalité, après mûre réflexion, une « correction » qui aurait trouvé dans la déclaration de Macron l’occasion de se livrer au grand jour. Le journaliste pousse assez loin ce qui s’apparente à la repentance de celui qui renonce aux « délicatesses hypocrites de notre âge ». Il reprend à son compte en usant de guillemets l’essentiel de l’argumentation de Césaire dont je ne cite que la phrase qui suit, de Discours : «On me parle de progrès, de "réalisations", de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d’eux-mêmes. Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, des cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées. On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemin de fer ». Pour le reste, renvoyons le lecteur à l’article qui mérite mieux que ce modeste commentaire. Les abondantes citations de Césaire pourraient dispenser certains de lire son livre et permettre à d’autres de mieux le comprendre.
Il reste que les définitions des crimes commis sur les sociétés sont évolutives, ils emportent dans leurs évolutions des certitudes qui paraissaient bien assises et font parfois tituber l’histoire. Elles ne sont plus à rechercher dans le Petit Larousse mais dans les cerveaux et les cœurs de ceux qui les subissent. La plasticité de la Toile semble mieux convenir à ces mutations imposées d’en bas. Certes, la colonisation et même l’esclavage ne furent pas des génocides en ce qu’ils n’avaient pas pour but de supprimer des peuples comme ce fut le cas pour les Juifs, mais obéissaient à un intérêt économique. Il y avait donc mieux à faire des esclaves ou des colonisés qu’à les supprimer. La distinction entre ces notions ne tient qu’à un fil, lequel semble avoir été rompu pour qualifier la colonisation, comme l’esclavage, de crime contre l’humanité.
En cette année 2017, la déclaration d’Emmanuel Macron exprimée dans le double contexte de l’élection présidentielle et de l’affaire Théo n’est pas vraiment contestée, l’essentiel des critiques portant sur l’opportunité du propos. Le hiatus de l’aspect économique résistera-t-il à l’évolution sémantique ? Sinon le caractère utilitaire du colonisé ou de l’esclave a-t-il pu, seul, épargner ces derniers du destin génocidaire qu’avaient connu les Caraïbes ?
Fort-de-France, le 19 février 2017
Yves-Léopold Monthieux