Dans les mois à venir, un vote sera organisé concernant l’évolution institutionnelle de la Martinique dans le cadre de l’article 74 de la Constitution.
On se souvient de l’issue négative du référendum du 7 décembre 2003 dont l’enjeu était la transformation des Conseils général et régional en une assemblée unique, avec comme corollaire une représentation paritaire des femmes et des hommes appelés à y siéger. Plusieurs raisons ont été avancées pour expliquer la défaite inattendue du oui ; cependant, un élément doit être également b[pris en compte : le vote des Français résidant en Martinique.
LE VOTE DES FRANÇAIS EN MARTINIQUE
Il est possible que ces électeurs aient distribué leurs suffrages comme la part de l’ensemble des votants, mais il n’est pas impossible qu’ils les aient largement portés sur le non. Auraient-ils, d’ailleurs, plébiscité le oui que la question de la participation des personnes qui ne sont pas martiniquaises à ce type de scrutins doit quand même être posée.
Qui, en effet, peut voter en de telles occasions ?
Normalement, à des questions qui, touchant une problématique identitaire, nous concernent avant tout, seuls les Martiniquais devraient pouvoir apporter une réponse.
Or, pour le vote d’il y a six ans, un communiqué officiel définissait ainsi le corps électoral : « Lors de la consultation du 7 décembre 2003 concernant le projet de l’organisation institutionnelle de la Martinique, les opérations de vote s’effectueront à partir des listes électorales arrêtées au 28 février 2003. »
Il n’en ira pas autrement pour la consultation à venir : tout électeur, depuis qu’il est inscrit en Martinique, peut se prononcer sur des questions qui touchent au premier chef le peuple martiniquais.
Mais le Peuple Martiniquais, comment le définir même ?
La Constitution de 1958 fut révisée en 2003 afin de procéder à un dépoussiérage du texte, mais aussi pour apporter des réponses aux demandes de libertés nouvelles formulées dans les départements et territoires d’outre-mer.
Après avoir énoncé les principes sur lesquels se fonde la nation française (droits de l’homme, souveraineté nationale, droits et devoirs concernant l’environnement), voici ce que proclame le préambule de cette Constitution : « En vertu de ces principes et de la libre détermination des peuples, la République offre aux territoires d’outre-mer qui manifestent la volonté d’y adhérer des institutions nouvelles fondées sur l’idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité et conçues en vue de leur évolution démocratique. »
L’article 72-3 précise : « La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité. »
On remarque que ces deux extraits comportent beaucoup de liberté-égalité-fraternité.
On note cependant que, si dans la partie la plus générale du préambule ce sont des « peuples » qui sont intéressés par le principe de la libre détermination, dès lors qu’on parle d’appliquer ce principe, les peuples laissent la place à des « territoires », considérez que, par principe, il ne saurait s’agir de peuple quand il s’agit de l’Outre-Mer.
Quant à l’article 72-3, il est empreint d’une grande solennité : « La République reconnaît – woulé tanbou –, au sein du peuple français – wou-woulé tanbou (Mesdames et messieurs, qu’est-ce que la République peut bien reconnaître avec une telle gravité ?) − : les populations d’outre-mer ».
C’est Tout.
C’est Nous.
Alors est-il vrai qu’il n’y a en Martinique qu’une population posée sur un territoire ?
S’y trouve-t-il des citoyens aptes à juger eux-mêmes de ce qui est bon pour eux sans que d’autres voix interfèrent dans leurs prises de décision ?
Y a-t- il en Martinique un peuple qui veuille se définir comme tel ?
Bref, en Martinique, y a-t-il encore des Martiniquais ?
Un des effets de la colonisation de peuplement – phase terminale du département –, est que celle-ci tend à créer une représentation de notre pays comme un territoire français même pareil avec les autres.
Les Français qui s’y installent considèrent qu’ils se rendent dans une province un peu lointaine, ayant simplement pour caractéristique une quantité de mer, de sable et de soleil. Cependant feraient-ils le voyage sans être sûrs de trouver une place réservée, au-dessus des provinciaux qui vont et viennent, sans connaître leur bonheur, dans ce lambeau-de-France-palpitant-sous-d’autres-cieux ?
Lorsqu’ils découvrent quelque aspect de notre société qui les surprend ou qui les choque, nos nouveaux arrivants passent en mode Ambassadeurs-de-France-Chefs-Comptables gages de la grandeur de l’État et mesureurs de ses dépenses, ne se référant qu’à des systèmes-France qu’ils prétendent imposer comme des absolus.
Ce qui n’empêche pas certains d’entre eux, après une nuit passée en Martinique, de se déclarer Martiniquais.
D’ailleurs leur influence se fait de plus en plus grande sur nos façons de parler, de penser, de vivre tout bonnement.
Ainsi, nos mots sont attaqués.
Des dénominations léguées par les anciens sont abandonnées : les Dominicains sont corrigés en « Dominiquais », les Sainte-Luciens en « Saint-Luciens », Trinidad est tout simplement convertie en « Trinité ».
La façon de voir et d’utiliser les lieux modifie les toponymes : c’est l’Anse Belleville devenue « la Plage des surfeurs ».
Le petit reptile à la robe changeante dont le mâle gonfle ses bajoues pour se faire voir des demoiselles de son espèce, eh bien l’Anolis, oui, a disparu, remplacé, du fait des usages d’instituteurs frais débarqués, par le bon français lézard.
Nos façons de vivre entre nous sont remises en cause : ainsi, les élèves qui, absents pour cause de religion le samedi, trouvaient naguère des professeurs compréhensifs leur permettant de composer dans des créneaux horaires aménagés ou de bénéficier de cours photocopiés, ces jeunes Martiniquais se heurtent aujourd’hui à des défenseurs d’une forme exaltée de laïcité qui refusent tout compromis « obscurantiste » avec ceux qui ne s’adaptent pas à la nouvelle religion laïque qui, en France, renvoie des écoles les jeunes filles voilées.
Autre exemple : nous savons combien a été difficile la lutte pour la connaissance du 22 Mai en tant que fait d’histoire.
Il a fallu dégager de la gangue schœlchérolâtre qui les enveloppait cette date et sa signification. Nous savons également comment toute une génération de militants anticolonialistes a dû batailler pied à pied pour que le 22 Mai soit reconnu comme jour de célébration de nos ancêtres.
Eh bien, cette commémoration est remise en cause par des enseignants pour lesquels fêter le 22 Mai relève du plus grand ridicule puisque l’abolition ne fut effective que le lendemain 23 avec la proclamation signée du gouverneur.
Est mis ainsi en avant, non pas la révolte insurrectionnelle des Romain, des Léonce, mais l’acte du représentant de la France, leur représentant.
Dans cet ordre d’idées, si on peut dire, le Code Noir est présenté à nos écoliers comme un ensemble de réformes entreprises par un roi « humain » (Louis XIV !) pour adoucir la vie des esclaves, considérez que le Code Noir avait anticipé le règlement intérieur du Club Méditerranée.
En vérité, il se pratique dans beaucoup de classes en Martinique une qualité d’histoire aspartame.
Qui donc l’Anolis prend la vole.
Si l’Anolis prend la vole, ce sont les langues, créole et français standard de Martinique, qui prennent la vole : c’est nous comme Martiniquais qui sommes destinés à prendre la vole.
Déjà cette colonisation de peuplement est responsable de la hausse aberrante du cout des morceaux de terrain, de la création d’enclaves raciales, du développement du racisme.
Elle risque de transformer les Martiniquais en émigrés sur leur propre sol.
Alors quand la possibilité de nous prononcer sur nos affaires se présente, ne devons-nous pas pouvoir exprimer notre choix sans interférences ?
Comment ?
Il faudra trouver un moyen. Mais un moyen qui ne se révèle pas, en final de compte, dommageable à la cause d’une Martinique décolonisée.
COUP D’ŒIL SUR LA KANAKY
Un coup d’œil sur la Kanaky de ces vingt dernières années peut aider à se faire une opinion.
En 1988, les Kanaks obtenaient du gouvernement français que des modalités particulières soient envisagées pour définir le corps électoral lors de consultations portant sur des décisions les concernant, concernant leur terre et leur avenir.
Cette année-là, les accords de Matignon stipulèrent que, pour le référendum d’autodétermination prévu en 1998, seuls pourraient voter les citoyens français justifiant de dix ans de présence en Kanaky à la date desdits accords.
En réalité, le moment venu, même cette mesure ne fut pas suffisante pour permettre aux partisans du oui à l’indépendance d’être en position de remporter le scrutin annoncé. En réalité, les Kanaks étaient déjà inférieurs en nombre sur leur propre terre. En réalité, une colonisation de peuplement méthodique avait été programmée depuis des siècles de temps.
C’est ce que montre une directive adressée par le Premier ministre Messmer à son ministre des DOM-TOM en 1972 :
« La Nouvelle-Calédonie, colonie de peuplement, bien que vouée à la bigarrure multiraciale, est probablement le dernier territoire tropical non indépendant au monde où un pays développé puisse faire émigrer ses ressortissants.
Il faut donc saisir cette chance ultime de créer un pays francophone supplémentaire.
La présence française en Calédonie ne peut être menacée, sauf guerre mondiale, que par une revendication nationaliste des populations autochtones appuyées par quelques alliés éventuels dans d’autres communautés ethniques venant du Pacifique.
À court et moyen terme, l’immigration massive de citoyens français métropolitains ou originaires des départements d’outre-mer (Réunion) devrait permettre d’éviter ce danger en maintenant et en améliorant le rapport numérique des communautés.
À long terme, la revendication nationaliste autochtone ne sera évitée que si les communautés non originaires du Pacifique représentent une masse démographique majoritaire. »
Au recensement de 1996, les Kanaks ne représentaient plus que 44% de la Kanaky.
« Ça ne risque pas de nous arriver » ? « Notre situation n’a rien de comparable » ?
Lapousiè di plis ki sa…
Alors que faire même, non seulement pour les élections à venir, mais pour l’avenir de notre peuple, qui veut dire pour les enfants de nos enfants ?
D’abord en un, pour le 74, et pour toute autre consultation dont le caractère identitaire est patent, seuls les Martiniquais doivent participer au scrutin, y compris nos compatriotes qui vivent en France ou ailleurs.
Ensuite, parce que la Martinique n’est pas un simple territoire et le Peuple Martiniquais pas simplement une population, nous devons obtenir l’arrêt de la colonisation de peuplement.
Et puis continuons à rouler dans l’esprit du 22 Mai tel qu’il a soufflé durant le mouvement du 5 février : calculer et brocanter, agir pour faciliter une décolonisation, soit partielle, soit intégrale ; soit en rupture, soit en liennage avec la France.
En tout état de cause, quel que soit le terme, pour pouvoir choisir il faut exister.
Cette fable. Au lendemain du tremblement de terre, un commerçant français, installé chez nous depuis passé vingt ans, vint trouver un de ses employés martiniquais pour lui confier son inquiétude face à un phénomène aussi dévastateur qu’imprévisible ; mais c’est là qu’il révèle à son interlocuteur son intention de dévirer là-même en « métropole », chez lui.
Un dernier mot.
Décompte
À la recherche de l’île aux femmes,
j’ai perdu mon âme
dans le psychodrame
d’une gargote haut de gamme
où j’ingurgitais du faux macadam
entre deux feux sans flamme.
Cric !
J’ai trouvé la rivière, j’ai bu l’eau fragile ; j’ai trouvé les criquets du soir, grillons, grenouilles sans grenouillage au bord d’une roche caraïbe sauvée des lises, et la cendre d’une combustion propagée aux confins. Une vieille boucanière vaticinait dans l’encre scintillante dont chaque étoile est une drive.
Yé cric !
Une nuit,
une nuit, les Quêteurs enjambèrent le bordage d’un gommier et, dans le ventre du canot, mimèrent l’acte de pêche en donnant la voix. Ils ont mimé le geste du rameur en donnant la voix, ils ont halé des sennes rêvées ! Qui fait que, dans son embarcation emplie de notre désir jusqu’au bord, le pêcheur ramena bon bonites bleues nous célébrant.
Cric !
Mais le temps demeurait sans saison ; dans un même jour se succédaient carême et hivernage, dans une seule heure se concentraient dix années de malheur, et l’éclatante canitie, et les indurations de la tête, et les vicissitudes des plaisirs, les chapelets de faims, toutes dispositions chères à Basile : les fruits tombaient ou trop tôt ou trop tard.
Yé cric !
Pourrons-nous saisir : le pays qui passe ?
Texte de Gérard NICOLAS.
On se souvient de l’issue négative du référendum du 7 décembre 2003 dont l’enjeu était la transformation des Conseils général et régional en une assemblée unique, avec comme corollaire une représentation paritaire des femmes et des hommes appelés à y siéger. Plusieurs raisons ont été avancées pour expliquer la défaite inattendue du oui ; cependant, un élément doit être également b[pris en compte : le vote des Français résidant en Martinique.
LE VOTE DES FRANÇAIS EN MARTINIQUE
Il est possible que ces électeurs aient distribué leurs suffrages comme la part de l’ensemble des votants, mais il n’est pas impossible qu’ils les aient largement portés sur le non. Auraient-ils, d’ailleurs, plébiscité le oui que la question de la participation des personnes qui ne sont pas martiniquaises à ce type de scrutins doit quand même être posée.
Qui, en effet, peut voter en de telles occasions ?
Normalement, à des questions qui, touchant une problématique identitaire, nous concernent avant tout, seuls les Martiniquais devraient pouvoir apporter une réponse.
Or, pour le vote d’il y a six ans, un communiqué officiel définissait ainsi le corps électoral : « Lors de la consultation du 7 décembre 2003 concernant le projet de l’organisation institutionnelle de la Martinique, les opérations de vote s’effectueront à partir des listes électorales arrêtées au 28 février 2003. »
Il n’en ira pas autrement pour la consultation à venir : tout électeur, depuis qu’il est inscrit en Martinique, peut se prononcer sur des questions qui touchent au premier chef le peuple martiniquais.
Mais le Peuple Martiniquais, comment le définir même ?
La Constitution de 1958 fut révisée en 2003 afin de procéder à un dépoussiérage du texte, mais aussi pour apporter des réponses aux demandes de libertés nouvelles formulées dans les départements et territoires d’outre-mer.
Après avoir énoncé les principes sur lesquels se fonde la nation française (droits de l’homme, souveraineté nationale, droits et devoirs concernant l’environnement), voici ce que proclame le préambule de cette Constitution : « En vertu de ces principes et de la libre détermination des peuples, la République offre aux territoires d’outre-mer qui manifestent la volonté d’y adhérer des institutions nouvelles fondées sur l’idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité et conçues en vue de leur évolution démocratique. »
L’article 72-3 précise : « La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité. »
On remarque que ces deux extraits comportent beaucoup de liberté-égalité-fraternité.
On note cependant que, si dans la partie la plus générale du préambule ce sont des « peuples » qui sont intéressés par le principe de la libre détermination, dès lors qu’on parle d’appliquer ce principe, les peuples laissent la place à des « territoires », considérez que, par principe, il ne saurait s’agir de peuple quand il s’agit de l’Outre-Mer.
Quant à l’article 72-3, il est empreint d’une grande solennité : « La République reconnaît – woulé tanbou –, au sein du peuple français – wou-woulé tanbou (Mesdames et messieurs, qu’est-ce que la République peut bien reconnaître avec une telle gravité ?) − : les populations d’outre-mer ».
C’est Tout.
C’est Nous.
Alors est-il vrai qu’il n’y a en Martinique qu’une population posée sur un territoire ?
S’y trouve-t-il des citoyens aptes à juger eux-mêmes de ce qui est bon pour eux sans que d’autres voix interfèrent dans leurs prises de décision ?
Y a-t- il en Martinique un peuple qui veuille se définir comme tel ?
Bref, en Martinique, y a-t-il encore des Martiniquais ?
Un des effets de la colonisation de peuplement – phase terminale du département –, est que celle-ci tend à créer une représentation de notre pays comme un territoire français même pareil avec les autres.
Les Français qui s’y installent considèrent qu’ils se rendent dans une province un peu lointaine, ayant simplement pour caractéristique une quantité de mer, de sable et de soleil. Cependant feraient-ils le voyage sans être sûrs de trouver une place réservée, au-dessus des provinciaux qui vont et viennent, sans connaître leur bonheur, dans ce lambeau-de-France-palpitant-sous-d’autres-cieux ?
Lorsqu’ils découvrent quelque aspect de notre société qui les surprend ou qui les choque, nos nouveaux arrivants passent en mode Ambassadeurs-de-France-Chefs-Comptables gages de la grandeur de l’État et mesureurs de ses dépenses, ne se référant qu’à des systèmes-France qu’ils prétendent imposer comme des absolus.
Ce qui n’empêche pas certains d’entre eux, après une nuit passée en Martinique, de se déclarer Martiniquais.
D’ailleurs leur influence se fait de plus en plus grande sur nos façons de parler, de penser, de vivre tout bonnement.
Ainsi, nos mots sont attaqués.
Des dénominations léguées par les anciens sont abandonnées : les Dominicains sont corrigés en « Dominiquais », les Sainte-Luciens en « Saint-Luciens », Trinidad est tout simplement convertie en « Trinité ».
La façon de voir et d’utiliser les lieux modifie les toponymes : c’est l’Anse Belleville devenue « la Plage des surfeurs ».
Le petit reptile à la robe changeante dont le mâle gonfle ses bajoues pour se faire voir des demoiselles de son espèce, eh bien l’Anolis, oui, a disparu, remplacé, du fait des usages d’instituteurs frais débarqués, par le bon français lézard.
Nos façons de vivre entre nous sont remises en cause : ainsi, les élèves qui, absents pour cause de religion le samedi, trouvaient naguère des professeurs compréhensifs leur permettant de composer dans des créneaux horaires aménagés ou de bénéficier de cours photocopiés, ces jeunes Martiniquais se heurtent aujourd’hui à des défenseurs d’une forme exaltée de laïcité qui refusent tout compromis « obscurantiste » avec ceux qui ne s’adaptent pas à la nouvelle religion laïque qui, en France, renvoie des écoles les jeunes filles voilées.
Autre exemple : nous savons combien a été difficile la lutte pour la connaissance du 22 Mai en tant que fait d’histoire.
Il a fallu dégager de la gangue schœlchérolâtre qui les enveloppait cette date et sa signification. Nous savons également comment toute une génération de militants anticolonialistes a dû batailler pied à pied pour que le 22 Mai soit reconnu comme jour de célébration de nos ancêtres.
Eh bien, cette commémoration est remise en cause par des enseignants pour lesquels fêter le 22 Mai relève du plus grand ridicule puisque l’abolition ne fut effective que le lendemain 23 avec la proclamation signée du gouverneur.
Est mis ainsi en avant, non pas la révolte insurrectionnelle des Romain, des Léonce, mais l’acte du représentant de la France, leur représentant.
Dans cet ordre d’idées, si on peut dire, le Code Noir est présenté à nos écoliers comme un ensemble de réformes entreprises par un roi « humain » (Louis XIV !) pour adoucir la vie des esclaves, considérez que le Code Noir avait anticipé le règlement intérieur du Club Méditerranée.
En vérité, il se pratique dans beaucoup de classes en Martinique une qualité d’histoire aspartame.
Qui donc l’Anolis prend la vole.
Si l’Anolis prend la vole, ce sont les langues, créole et français standard de Martinique, qui prennent la vole : c’est nous comme Martiniquais qui sommes destinés à prendre la vole.
Déjà cette colonisation de peuplement est responsable de la hausse aberrante du cout des morceaux de terrain, de la création d’enclaves raciales, du développement du racisme.
Elle risque de transformer les Martiniquais en émigrés sur leur propre sol.
Alors quand la possibilité de nous prononcer sur nos affaires se présente, ne devons-nous pas pouvoir exprimer notre choix sans interférences ?
Comment ?
Il faudra trouver un moyen. Mais un moyen qui ne se révèle pas, en final de compte, dommageable à la cause d’une Martinique décolonisée.
COUP D’ŒIL SUR LA KANAKY
Un coup d’œil sur la Kanaky de ces vingt dernières années peut aider à se faire une opinion.
En 1988, les Kanaks obtenaient du gouvernement français que des modalités particulières soient envisagées pour définir le corps électoral lors de consultations portant sur des décisions les concernant, concernant leur terre et leur avenir.
Cette année-là, les accords de Matignon stipulèrent que, pour le référendum d’autodétermination prévu en 1998, seuls pourraient voter les citoyens français justifiant de dix ans de présence en Kanaky à la date desdits accords.
En réalité, le moment venu, même cette mesure ne fut pas suffisante pour permettre aux partisans du oui à l’indépendance d’être en position de remporter le scrutin annoncé. En réalité, les Kanaks étaient déjà inférieurs en nombre sur leur propre terre. En réalité, une colonisation de peuplement méthodique avait été programmée depuis des siècles de temps.
C’est ce que montre une directive adressée par le Premier ministre Messmer à son ministre des DOM-TOM en 1972 :
« La Nouvelle-Calédonie, colonie de peuplement, bien que vouée à la bigarrure multiraciale, est probablement le dernier territoire tropical non indépendant au monde où un pays développé puisse faire émigrer ses ressortissants.
Il faut donc saisir cette chance ultime de créer un pays francophone supplémentaire.
La présence française en Calédonie ne peut être menacée, sauf guerre mondiale, que par une revendication nationaliste des populations autochtones appuyées par quelques alliés éventuels dans d’autres communautés ethniques venant du Pacifique.
À court et moyen terme, l’immigration massive de citoyens français métropolitains ou originaires des départements d’outre-mer (Réunion) devrait permettre d’éviter ce danger en maintenant et en améliorant le rapport numérique des communautés.
À long terme, la revendication nationaliste autochtone ne sera évitée que si les communautés non originaires du Pacifique représentent une masse démographique majoritaire. »
Au recensement de 1996, les Kanaks ne représentaient plus que 44% de la Kanaky.
« Ça ne risque pas de nous arriver » ? « Notre situation n’a rien de comparable » ?
Lapousiè di plis ki sa…
Alors que faire même, non seulement pour les élections à venir, mais pour l’avenir de notre peuple, qui veut dire pour les enfants de nos enfants ?
D’abord en un, pour le 74, et pour toute autre consultation dont le caractère identitaire est patent, seuls les Martiniquais doivent participer au scrutin, y compris nos compatriotes qui vivent en France ou ailleurs.
Ensuite, parce que la Martinique n’est pas un simple territoire et le Peuple Martiniquais pas simplement une population, nous devons obtenir l’arrêt de la colonisation de peuplement.
Et puis continuons à rouler dans l’esprit du 22 Mai tel qu’il a soufflé durant le mouvement du 5 février : calculer et brocanter, agir pour faciliter une décolonisation, soit partielle, soit intégrale ; soit en rupture, soit en liennage avec la France.
En tout état de cause, quel que soit le terme, pour pouvoir choisir il faut exister.
Cette fable. Au lendemain du tremblement de terre, un commerçant français, installé chez nous depuis passé vingt ans, vint trouver un de ses employés martiniquais pour lui confier son inquiétude face à un phénomène aussi dévastateur qu’imprévisible ; mais c’est là qu’il révèle à son interlocuteur son intention de dévirer là-même en « métropole », chez lui.
Un dernier mot.
Décompte
À la recherche de l’île aux femmes,
j’ai perdu mon âme
dans le psychodrame
d’une gargote haut de gamme
où j’ingurgitais du faux macadam
entre deux feux sans flamme.
Cric !
J’ai trouvé la rivière, j’ai bu l’eau fragile ; j’ai trouvé les criquets du soir, grillons, grenouilles sans grenouillage au bord d’une roche caraïbe sauvée des lises, et la cendre d’une combustion propagée aux confins. Une vieille boucanière vaticinait dans l’encre scintillante dont chaque étoile est une drive.
Yé cric !
Une nuit,
une nuit, les Quêteurs enjambèrent le bordage d’un gommier et, dans le ventre du canot, mimèrent l’acte de pêche en donnant la voix. Ils ont mimé le geste du rameur en donnant la voix, ils ont halé des sennes rêvées ! Qui fait que, dans son embarcation emplie de notre désir jusqu’au bord, le pêcheur ramena bon bonites bleues nous célébrant.
Cric !
Mais le temps demeurait sans saison ; dans un même jour se succédaient carême et hivernage, dans une seule heure se concentraient dix années de malheur, et l’éclatante canitie, et les indurations de la tête, et les vicissitudes des plaisirs, les chapelets de faims, toutes dispositions chères à Basile : les fruits tombaient ou trop tôt ou trop tard.
Yé cric !
Pourrons-nous saisir : le pays qui passe ?
Texte de Gérard NICOLAS.