A cette occasion Serge Bilé a fait paraître un extrait de son livre où il raconte un jour d’anniversaire de Césaire. Nous avons repris cet extrait, une manière de mettre en relief ce jour et de le "commémorer" modestement. Nous joignons aussi à cet article les liens permettant d'écouter les récits d’Édouard de Lépine quand lui aussi raconte son expérience de Césaire.
Je n’ai jamais osé dire à Aimé Césaire que je suis né le même jour que lui, un 26 juin, et que nous partageons par conséquent le même signe astrologique. Les natifs du Cancer ont en commun, paraît-il, d’être pertinents, intuitifs, timides, mélancoliques : ils font preuve également d’une grande sensibilité et d’une grande… susceptibilité !
Je n’ai jamais osé le dire, par pudeur ou par peur de paraître prétentieux. Lorsqu’en 2003, la mairie de Fort-de-France organise dans le hall de l’Atrium, la plus grande salle de spectacle de l’île, une fête pour ses 90 ans, je préfère me fondre dans la foule pour l’observer à distance et vivre par procuration mon propre anniversaire.
Ce matin-là, Césaire porte une veste grise et une chemise bleu clair, que souligne une cravate bleu foncé. Il est assis dans un fauteuil entouré de Pierre Aliker et de René Ménil, un vieil ami avec qui il avait été longtemps brouillé pour cause de divergences politiques.
On remarque à côté d’eux la future garde des Sceaux, Christiane Taubira, mais aussi ses proches, Camille Darsières, Serge Letchimy, et Claude Lise.
Derrière ses lunettes cerclées, Césaire, ébahi, promène ses yeux sur tous ces gens venus le célébrer. Lui qui fuit habituellement les honneurs voudrait sans doute disparaître pour relire un de ses poèmes. Lequel ? Comme un malentendu de salut ou Soleil et eau ?
Césaire fuit les honneurs, mais il ne peut y échapper. C’est le prix à payer pour cet intellectuel brillant et populaire. D’ailleurs, comment pourrait-il se soustraire à l’amour que lui portent ses proches et ses prochains, trop heureux de manifester leur reconnaissance ?
« Au fil des années, vous témoignez d’une étincelle que nous voulons pouvoir conserver », lance Claude Lise, avant de se précipiter pour lui donner une chaleureuse accolade et lui offrir un ouvrage réalisé à partir des actes d’un colloque organisé en Martinique autour de son œuvre.
Une fillette prend ensuite le relais et déclame avec justesse, émotion et talent un de ses poèmes. Massé dans le hall et les escaliers, le public applaudit à tout rompre, alors que résonne aussitôt une chanson. C’est la reprise d’un air traditionnel bien connu qui rend hommage à l’abolitionniste français, Victor Schœlcher : « Sé gras a, gras a Chelchè si jòdi nou ni la libèté ki si chè an nou ! »
Dans cette reprise qui résonne ce 26 juin 2003 dans le hall de l’Atrium, le nom de Schœlcher a été remplacé par celui de Césaire : « Sé gras a Césaire si jòdi nou ni lidantité ki si chè an nou ! », entonne la chanteuse d’un timbre enjoué.
Elle s’appelle Gertrude Seinin. C’est une grande voix de la musique traditionnelle. On la sent heureuse d’être là, heureuse de faire le show pour cet homme « exceptionnel » qu’elle côtoie depuis l’enfance.
« Sé gras a Césaire si jodi nou ni lidantité ki si chè a nou ! » (C’est grâce à Césaire que nous avons aujourd’hui cette identité qui nous est si chère), répète l’artiste. La foule reprend en chœur avec elle : « Sé gras a Césaire si jodi nou ni lidantité ki si chè a nou ! »
La mère de Gertrude Seinin était une modeste marchande qui nourrissait ses quatre enfants en vendant du poisson et des fruits à pain au marché et dans les services de la mairie de Fort-de-France. La jeune fille se faufilait alors dans son sillage pour saluer le maire et lui parler de ses progrès en musique.
« Un jour Aimé Césaire m’a demandé si je prenais des cours de solfège. Je lui ai répondu que maman n’avait pas les moyens de me les payer. Il a aussitôt sorti de l’argent de sa poche, son propre argent. Il a appelé le secrétaire de mairie. Il lui a remis la somme et lui a dit d’aller m’inscrire dans un cours de solfège en ville. Je lui en serai éternellement reconnaissante », m’explique-t-elle.
Ce 26 juin 2003, Gertrude Seinin n’est pas venue seule à l’Atrium. Alors qu’elle chante les louanges de son bienfaiteur, sa petite-fille, vêtue d’une magnifique robe en madras, esquisse à ses côtés quelques pas de danse. Césaire apprécie. Il glisse quelques mots à Aliker en pointant son doigt vers celle qui, haute comme trois pommes, met l’ambiance.
À la fin de la cérémonie, je fonce vers Césaire pour prendre au moins une photo – je n’aurai peut-être pas la chance une autre fois d’être à côté de lui le jour de notre anniversaire, alors autant en profiter ! À l’époque, les selfies ne sont pas encore à la mode. Un de mes amis immortalise la scène.
« Monsieur Césaire est un grand timide. Il n’aime pas trop qu’on fête son anniversaire. Chaque fois que le 26 juin approche, il s’inquiète et me demande si on a préparé quelque chose, en m’informant aussitôt qu’il ne viendra pas de toute façon. Mais une fois entré dans le bain, il se prête au jeu. À la fin, il remercie tout le monde et repart finalement content », me glisse sa secrétaire Joëlle Jules-Rosette.
Je n’ai jamais osé le dire, par pudeur ou par peur de paraître prétentieux. Lorsqu’en 2003, la mairie de Fort-de-France organise dans le hall de l’Atrium, la plus grande salle de spectacle de l’île, une fête pour ses 90 ans, je préfère me fondre dans la foule pour l’observer à distance et vivre par procuration mon propre anniversaire.
Ce matin-là, Césaire porte une veste grise et une chemise bleu clair, que souligne une cravate bleu foncé. Il est assis dans un fauteuil entouré de Pierre Aliker et de René Ménil, un vieil ami avec qui il avait été longtemps brouillé pour cause de divergences politiques.
On remarque à côté d’eux la future garde des Sceaux, Christiane Taubira, mais aussi ses proches, Camille Darsières, Serge Letchimy, et Claude Lise.
Derrière ses lunettes cerclées, Césaire, ébahi, promène ses yeux sur tous ces gens venus le célébrer. Lui qui fuit habituellement les honneurs voudrait sans doute disparaître pour relire un de ses poèmes. Lequel ? Comme un malentendu de salut ou Soleil et eau ?
Césaire fuit les honneurs, mais il ne peut y échapper. C’est le prix à payer pour cet intellectuel brillant et populaire. D’ailleurs, comment pourrait-il se soustraire à l’amour que lui portent ses proches et ses prochains, trop heureux de manifester leur reconnaissance ?
« Au fil des années, vous témoignez d’une étincelle que nous voulons pouvoir conserver », lance Claude Lise, avant de se précipiter pour lui donner une chaleureuse accolade et lui offrir un ouvrage réalisé à partir des actes d’un colloque organisé en Martinique autour de son œuvre.
Une fillette prend ensuite le relais et déclame avec justesse, émotion et talent un de ses poèmes. Massé dans le hall et les escaliers, le public applaudit à tout rompre, alors que résonne aussitôt une chanson. C’est la reprise d’un air traditionnel bien connu qui rend hommage à l’abolitionniste français, Victor Schœlcher : « Sé gras a, gras a Chelchè si jòdi nou ni la libèté ki si chè an nou ! »
Dans cette reprise qui résonne ce 26 juin 2003 dans le hall de l’Atrium, le nom de Schœlcher a été remplacé par celui de Césaire : « Sé gras a Césaire si jòdi nou ni lidantité ki si chè an nou ! », entonne la chanteuse d’un timbre enjoué.
Elle s’appelle Gertrude Seinin. C’est une grande voix de la musique traditionnelle. On la sent heureuse d’être là, heureuse de faire le show pour cet homme « exceptionnel » qu’elle côtoie depuis l’enfance.
« Sé gras a Césaire si jodi nou ni lidantité ki si chè a nou ! » (C’est grâce à Césaire que nous avons aujourd’hui cette identité qui nous est si chère), répète l’artiste. La foule reprend en chœur avec elle : « Sé gras a Césaire si jodi nou ni lidantité ki si chè a nou ! »
La mère de Gertrude Seinin était une modeste marchande qui nourrissait ses quatre enfants en vendant du poisson et des fruits à pain au marché et dans les services de la mairie de Fort-de-France. La jeune fille se faufilait alors dans son sillage pour saluer le maire et lui parler de ses progrès en musique.
« Un jour Aimé Césaire m’a demandé si je prenais des cours de solfège. Je lui ai répondu que maman n’avait pas les moyens de me les payer. Il a aussitôt sorti de l’argent de sa poche, son propre argent. Il a appelé le secrétaire de mairie. Il lui a remis la somme et lui a dit d’aller m’inscrire dans un cours de solfège en ville. Je lui en serai éternellement reconnaissante », m’explique-t-elle.
Ce 26 juin 2003, Gertrude Seinin n’est pas venue seule à l’Atrium. Alors qu’elle chante les louanges de son bienfaiteur, sa petite-fille, vêtue d’une magnifique robe en madras, esquisse à ses côtés quelques pas de danse. Césaire apprécie. Il glisse quelques mots à Aliker en pointant son doigt vers celle qui, haute comme trois pommes, met l’ambiance.
À la fin de la cérémonie, je fonce vers Césaire pour prendre au moins une photo – je n’aurai peut-être pas la chance une autre fois d’être à côté de lui le jour de notre anniversaire, alors autant en profiter ! À l’époque, les selfies ne sont pas encore à la mode. Un de mes amis immortalise la scène.
« Monsieur Césaire est un grand timide. Il n’aime pas trop qu’on fête son anniversaire. Chaque fois que le 26 juin approche, il s’inquiète et me demande si on a préparé quelque chose, en m’informant aussitôt qu’il ne viendra pas de toute façon. Mais une fois entré dans le bain, il se prête au jeu. À la fin, il remercie tout le monde et repart finalement content », me glisse sa secrétaire Joëlle Jules-Rosette.