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SORTIR DE L'ECONOMISME


Rédigé le Lundi 30 Mars 2009 à 04:16 |

Pour survivre ou durer, il est donc urgent d'organiser la
décroissance. Quand on est à Rome et que l'on doit se rendre par le train à Turin, si on s'est embarqué par erreur dans la direction de Naples, il ne suffit pas de ralentir la locomotive, de freiner ou même de stopper, il faut descendre et prendre un autre train dans la direction opposée. Pour sauver la planète et assurer un futur acceptable à nos enfants, il ne faut pas seulement modérer les tendances actuelles, il faut carrément sortir du développement et de l'économicisme comme il faut sortir de l'agriculture productiviste qui en est partie intégrante pour en finir avec les vaches folles et les aberrations transgéniques.


Sortir de l'économicisme
La décroissance devrait être organisée non seulement pour préserver l'environnement mais aussi pour restaurer le minimum de justice sociale sans lequel la planète est condamnée à l'explosion. Survie sociale et survie biologique paraissent ainsi étroitement liées. Les limites du «capital» nature ne posent pas seulement un problème d'équité intergénérationnelle dans le partage des parts disponibles, mais un problème d'équité entre les membres actuellement vivants de l'humanité.

La décroissance ne signifie pas nécessairement un immobilisme conservateur. L'évolution et la croissance lente des sociétés anciennes s'intégraient dans une reproduction élargie bien tempérée, toujours adaptée aux contraintes naturelles. «C'est parce que la société vernaculaire a adapté son mode de vie à son environnement, conclut Edouard Goldsmith, qu'elle est durable, et parce que la société industrielle s'est au contraire efforcée d'adapter son environnement à son mode de vie qu'elle ne peut espérer survivre» (22).

Aménager la décroissance signifie, en d'autres termes renoncer à l'imaginaire économique c'est-à-dire à la croyance que plus égale mieux. Le bien et le bonheur peuvent s'accomplir à moindres frais. La plupart des sagesses considèrent que le bonheur se réalise dans la satisfaction d'un nombre
judicieusement limité de besoins.

Redécouvrir la vraie richesse dans l'épanouissement de relations sociales conviviales dans un monde sain peut se réaliser avec sérénité dans la frugalité, la sobriété voire une certaine austérité dans la consommation matérielle.

«Une personne heureuse, note Hervé Martin, ne consomme pas d'antidépresseurs, ne consulte pas de psychiatres, ne tente pas de se suicider, ne casse pas les vitrines des magasins, n'achète pas à longueur de journées des objets aussi coûteux qu'inutiles, bref, ne participe que très faiblement
à l'activité économique de la société» (23). Une décroissance voulue et bien pensée n'impose aucune limitation dans la dépense des sentiments et la production d'une vie festive, voire dionysiaque.

On peut conclure avec Kate Soper : «Ceux qui plaident pour une consommation moins matérialiste sont souvent présentés comme des ascètes puritains qui cherchent à donner une orientation plus spirituelle aux besoins et aux plaisirs. Mais cette vision est à différents égards trompeuse. On pourrait dire que la consommation moderne ne s'intéresse pas suffisamment aux plaisirs de la chair, n'est pas assez concernée par l'expérience sensorielle, est trop obsédée par toute une série de produits qui filtrent les gratifications sensorielles et érotiques et nous en éloignent.

Une bonne partie des biens qui sont considérés comme essentiels pour un niveau de vie élevé sont plus anesthésiants que favorables à l'expérience sensuelle, plus avares que généreux en matière de convivialité, de relations de bon voisinage, de vie non stressée, de silence, d'odeur et de beauté...

Une consommation écologique n'impliquerait ni une réduction du niveau de vie, ni une conversion de
masse vers l'extra-mondanité, mais bien plutôt une conception différente
du niveau de vie lui-même» (24).

*Serge Latouche*

(1) Cité par Mauro Bonaïuti. La teoria bioeconomica. La «nuova economia»
di Nicholas Georgescu Roegen, Carocci, Rome 2001, p. 53.
(2) J. Pezzey, Economic analysis of sustainable growth and sustainable
development, World Bank, Environment Department, Working Paper n° 15, 1989.
(3) Christian Comeliau, Développement du développement durable, ou
blocages conceptuels ? Tiers-Monde, N° 137, Janvier-mars 1994, pp. 62-63.
(4) Cité par Jean Marie Harribey, L'économie économe, L'harmattan, Paris
1997.
(5) Carla Ravaioli, «Lettera aperta agli economisti. Crescita e crisi
ecologica». Manifesto libri 2001, P. 20.
(6) Green magazine, mai 1991. Cet exemple comme les précédents est tiré
de Hervé Kempf, L'économie à l'épreuve de l'écologie. Hatier, col.
enjeux, Paris 1991, pp. 24/25.
(7) Carla Ravaioli, op.cit. p. 30.
(8) Changer de cap, Dunod, l992, p. ll.
(9) Carla Ravaioli, op. cit. p. 32.
(10) Gérard de Bernis, Développement durable et accumulation,
Tiers-Monde, n° l37, p. 96.
(11) Mesarovic et Pestel, Strategie per sopravvivere, Mondadori, Milano
1974.
(12) Une augmentation du revenu (au sens hicksien) sans atteinte au
capital naturel permettrait d'affirmer qu'une croissance soutenable est
une contradiction dans les termes, pas un développement durable. Voir
Gianfranco Bologna et alii, «Italia capace di futuro» WWF-EMI, Bologne
2001, pp. 32 et ss.
(13) NGR 1989 p. 14, cité Bonaïuti, p. 54.
(14) En dépit de la coquetterie que l'on se donne de contester la
sagesse des «bons sauvages», celle-ci se fonde tout simplement sur
l'expérience. Les «bons sauvages» qui n'ont pas respecté leur écosystème
ont disparu au cours des siècles...
(15) Cette observation de Castoriadis rejoint la sagesse millénaire
évoquée déjà par Ciceron dans le «de senectute». Le modèle du
«développement durable» mettant en õuvre le principe de responsabilité
est donné par un vers cité par Caton : «Il va planter un arbre au profit
d'un autre âge». Il le commente ainsi : «De fait, l'agriculteur, si
vieux soit-il, à qui l'on demande pour qui il plante, n'hésite pas à
répondre : «Pour les dieux immortels, qui veulent que, sans me contenter
de recevoir ces biens de mes ancêtres, je les transmette aussi à mes
descendants». Cicéron, Caton l'ancien (de la vieillesse), VII-24, Les
belles lettres, Paris 1996, p. 96.
(16) Bonaïuti Mauro, La «nuova economia» di Nicholas Georgescu-Roegen.
ed. Carocci, Roma 2001, pp. 109 et 141.
(17) Ibidem. p. 140.
(18) Op. cit. p. 63.
(19) Marie-Dominique Perrot, Mondialiser le non sens, L'Age d'homme,
Lausanne, 2001, p. 23.
(20) On trouvera une bibliographie exhaustive des rapports et livres
parus sur le sujet depuis le fameux rapport du Club de Rome, dans Andrea
Masullo, «Il pianeta di tutti. Vivere nei limiti perchè la terra abbia
un futuro». EMI, Bologne, 1998.
(21) Sous la direction de Gianfranco Bologna, Italia capace di futuro.
WWF-EMI, Bologne, 2001, pp. 86-88.
(22) E. Goldsmith, Le défi du XXIe siècle, Le rocher, l994, p.330.
(23) Hervé René Martin, La mondialisation racontée à ceux qui la
subissent, Climats, 1999. p. 15.



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