Yves-Léopold Monthieux fait sa tribune! Le titre et le chapô de l'article sont de MAKAC LA
- Les difficultés qui se présentent aux élus de la CTM ne sont pas minces : une organisation administrative à inventer, des préoccupations financières à affronter, la poursuite des grands travaux et leur conduite dans les délais, l’harmonie de la coalition de la majorité. Cependant, par ses différentes déclarations, le président Marie-Jeanne semble indiquer que son souci principal tient aux poursuites judiciaires dont il fait l’objet. Aussi on peut s’étonner que son appel au peuple et ce que Politiques publiques a appelé « l’étrange avertissement d’Alfred Marie-Jeanne », se soient traduits par le silence absolu des analystes politiques. C’est vrai, l’intérêt est plus volontiers porté sur les déclarations de telle ou telle ministre du gouvernement dont on sait qu’elles n’ont aucun de pouvoir de rétorsion. Tout de même ! Le président a fait plus que suggérer que l’ancienne ministre de la justice aurait donné comme instruction à un procureur de la république de le faire condamner et surtout de faire prononcer son éligibilité, ce qui signifierait la vacance de la présidence de la CTM.
Ainsi que je l’ai évoqué par ailleurs, il suffit à l’Etat d’ « oublier » d’exercer certaines de ses prérogatives régaliennes pour que la règle soit, dans les faits, modifiée. C’est le sentiment qu’a pu donner le relâchement incontestable du contrôle de la légalité des décisions prises par les collectivités locales. Cette mansuétude participe de l’importance acquise par le pouvoir politique local, qui a parfois permis de considérer que le département avait déjà disparu bien avant l’avènement de la nouvelle collectivité.
L’affaire dite du « Green Parrot » rappelle une autre affaire qui s’était déroulée 2 ou 3 ans plus tôt et qui avait été tranchée en faveur du président Marie-Jeanne. Il s’agissait déjà de la construction d’une école dans une île de la Caraïbe. « Je ne comprends pas la décision du préfet. Le gouvernement m’autorise à prendre des initiatives et son représentant les défère devant le tribunal ». C’est à peu près la réaction qu’avait eue devant la presse Alfred Marie-Jeanne après la suspension par le Tribunal administratif de la délibération de la région qu’il présidait alors, accordant une aide financière à la Grenade. Le juge avait été saisi en référé par le préfet qui avait estimé illégale la décision de la région. L’étonnement exprimé par Alfred Marie-Jeanne face à la presse eut pour effet immédiat le retrait de la requête du préfet sur instruction du gouvernement.
Cette victoire d’Alfred Marie-Jeanne était, bien entendu, une victoire personnelle remportée sur le préfet, mais aussi une victoire politique. Elle consacrait la prédominance rampante du politique sur le droit, le recul du pouvoir régalien devant le pouvoir local. Cette victoire m’a toujours paru être à l’origine des difficultés judiciaires rencontrées par Alfred Marie-Jeanne au cours de l’opération de la Dominique. En effet, la bienveillance accordée par l’Etat à une évidente entorse à la règle de droit a pu inciter le président à renouveler à la Dominique l’opération de la Grenade. Le président de la région a pu considérer la décision gouvernementale comme un encouragement à poursuivre sa politique dans cette direction. Sauf que par le biais d’une présomption d’irrégularité qui allait être confirmée par sa mise en examen, une troisième partie, qui avait un intérêt politique à l’affaire, est entrée dans le jeu. L’Etat fit le dos rond mais les choses prirent un mauvais tour après que, fort de ses conseils, Alfred Marie-Jeanne avait saisi lui-même la justice pour faire cesser les rumeurs l’accusant de prise illégale d’intérêts. Si le leader indépendantiste n’a jamais été enclin à avoir recours à la justice, il n’avait pas cru devoir, en pleine campagne électorale, rester sans réaction face aux accusations parues sur la Toile. Ce faisant, il imposait à la justice de procéder à l’examen au fond du dossier et c’est finalement à son initiative que l’affaire de la Dominique prit vraiment corps.
Au-delà des magistrats c’est bien au pouvoir politique que le président Marie-Jeanne s’adresse lorsqu’il affirme qu’on voudrait « en haut lieu » le rendre inéligible et qu’il prend à témoin les électeurs martiniquais à qui, selon lui, on voudrait voler sa victoire. Et voilà que, dans un curieux raccourci, l’Etat tolérant de l’affaire de la Grenade serait invité à réparer les conséquences d’une utilisation abusive de cette tolérance. La réponse pourra être le report de l’affaire, de renvoi en renvoi, jusqu’aux calendes grecques.
En tout état de cause, si le président démissionne Cette situation délicate conduit à rappeler qu’en cas d’inéligibilité du président de la CTM, tout le monde descend du taxi : c’est effet guillotine pour les huit autres membres du conseil exécutif. En effet, l’article L. 7224-7 de la loi du 27 juillet 2011 stipule : « -En cas de vacance du siège de président du conseil exécutif de Martinique pour quelque cause que ce soit, ses fonctions sont provisoirement exercées par un conseiller exécutif, dans l’ordre de l’élection. Il est procédé à une nouvelle élection du conseil exécutif et de son président dans le délai d’un mois, selon les modalités prévues à l’article L. 7224-2 ». Les autres membres du conseil exécutif, qui ont démissionné de l’assemblée, ne pourront plus participer au vote et encore moins se porter à nouveau candidats lors de l’élection du nouvel exécutif. On peut y voir, au choix, une pépite supplémentaire du bijou institutionnel auquel les juristes avaient comparé la CTM où une expression de l’usine à gaz qu’avaient prédit les sceptiques.
En tout état de cause, s’il meurt ou s’il est invalidé, les 8 autres membres du conseil exécutif verraient s’interrompre de facto le contrat qu’ils ont passé avec les électeurs, le 13 décembre 2015. Certains d’entre eux pourraient purement et simplement disparaître de la vie politique. C’est dire que les difficultés judiciaires du président se révèlent un véritable boulet pour lui-même, pour l’exécutif, pour la CTM et pour la Martinique.
Yves-Léopold Monthieux
Fort-de-France, le 30 janvier 2016
Ainsi que je l’ai évoqué par ailleurs, il suffit à l’Etat d’ « oublier » d’exercer certaines de ses prérogatives régaliennes pour que la règle soit, dans les faits, modifiée. C’est le sentiment qu’a pu donner le relâchement incontestable du contrôle de la légalité des décisions prises par les collectivités locales. Cette mansuétude participe de l’importance acquise par le pouvoir politique local, qui a parfois permis de considérer que le département avait déjà disparu bien avant l’avènement de la nouvelle collectivité.
L’affaire dite du « Green Parrot » rappelle une autre affaire qui s’était déroulée 2 ou 3 ans plus tôt et qui avait été tranchée en faveur du président Marie-Jeanne. Il s’agissait déjà de la construction d’une école dans une île de la Caraïbe. « Je ne comprends pas la décision du préfet. Le gouvernement m’autorise à prendre des initiatives et son représentant les défère devant le tribunal ». C’est à peu près la réaction qu’avait eue devant la presse Alfred Marie-Jeanne après la suspension par le Tribunal administratif de la délibération de la région qu’il présidait alors, accordant une aide financière à la Grenade. Le juge avait été saisi en référé par le préfet qui avait estimé illégale la décision de la région. L’étonnement exprimé par Alfred Marie-Jeanne face à la presse eut pour effet immédiat le retrait de la requête du préfet sur instruction du gouvernement.
Cette victoire d’Alfred Marie-Jeanne était, bien entendu, une victoire personnelle remportée sur le préfet, mais aussi une victoire politique. Elle consacrait la prédominance rampante du politique sur le droit, le recul du pouvoir régalien devant le pouvoir local. Cette victoire m’a toujours paru être à l’origine des difficultés judiciaires rencontrées par Alfred Marie-Jeanne au cours de l’opération de la Dominique. En effet, la bienveillance accordée par l’Etat à une évidente entorse à la règle de droit a pu inciter le président à renouveler à la Dominique l’opération de la Grenade. Le président de la région a pu considérer la décision gouvernementale comme un encouragement à poursuivre sa politique dans cette direction. Sauf que par le biais d’une présomption d’irrégularité qui allait être confirmée par sa mise en examen, une troisième partie, qui avait un intérêt politique à l’affaire, est entrée dans le jeu. L’Etat fit le dos rond mais les choses prirent un mauvais tour après que, fort de ses conseils, Alfred Marie-Jeanne avait saisi lui-même la justice pour faire cesser les rumeurs l’accusant de prise illégale d’intérêts. Si le leader indépendantiste n’a jamais été enclin à avoir recours à la justice, il n’avait pas cru devoir, en pleine campagne électorale, rester sans réaction face aux accusations parues sur la Toile. Ce faisant, il imposait à la justice de procéder à l’examen au fond du dossier et c’est finalement à son initiative que l’affaire de la Dominique prit vraiment corps.
Au-delà des magistrats c’est bien au pouvoir politique que le président Marie-Jeanne s’adresse lorsqu’il affirme qu’on voudrait « en haut lieu » le rendre inéligible et qu’il prend à témoin les électeurs martiniquais à qui, selon lui, on voudrait voler sa victoire. Et voilà que, dans un curieux raccourci, l’Etat tolérant de l’affaire de la Grenade serait invité à réparer les conséquences d’une utilisation abusive de cette tolérance. La réponse pourra être le report de l’affaire, de renvoi en renvoi, jusqu’aux calendes grecques.
En tout état de cause, si le président démissionne Cette situation délicate conduit à rappeler qu’en cas d’inéligibilité du président de la CTM, tout le monde descend du taxi : c’est effet guillotine pour les huit autres membres du conseil exécutif. En effet, l’article L. 7224-7 de la loi du 27 juillet 2011 stipule : « -En cas de vacance du siège de président du conseil exécutif de Martinique pour quelque cause que ce soit, ses fonctions sont provisoirement exercées par un conseiller exécutif, dans l’ordre de l’élection. Il est procédé à une nouvelle élection du conseil exécutif et de son président dans le délai d’un mois, selon les modalités prévues à l’article L. 7224-2 ». Les autres membres du conseil exécutif, qui ont démissionné de l’assemblée, ne pourront plus participer au vote et encore moins se porter à nouveau candidats lors de l’élection du nouvel exécutif. On peut y voir, au choix, une pépite supplémentaire du bijou institutionnel auquel les juristes avaient comparé la CTM où une expression de l’usine à gaz qu’avaient prédit les sceptiques.
En tout état de cause, s’il meurt ou s’il est invalidé, les 8 autres membres du conseil exécutif verraient s’interrompre de facto le contrat qu’ils ont passé avec les électeurs, le 13 décembre 2015. Certains d’entre eux pourraient purement et simplement disparaître de la vie politique. C’est dire que les difficultés judiciaires du président se révèlent un véritable boulet pour lui-même, pour l’exécutif, pour la CTM et pour la Martinique.
Yves-Léopold Monthieux
Fort-de-France, le 30 janvier 2016