Crédit photo Gael GRESSE
Le slogan, refrain phare des manifestants du LKP, «"liyannaj kont pwofitasyon" » contre la vie chère, se situe lui aussi dans le registre du dit non dit. Ce slogan scandé, chanté par la foule des manifestants, rythme depuis un mois tous les déplacements du collectif : «La Gwadloup sé tan nou, la Gwadloup sé pa ta yo»… la Guadeloupe est à nous, la Guadeloupe n’est pas à eux !
Le « yo » qui se traduit par « eux » renvoie à un autre indéterminé. Les « eux » ne sont pas nommés.
Eux, ne désigne personne en particulier. Il s’inscrit dans le registre d’une pensée somme toute commune à nombre de sociétés précapitalistes ou traditionnelles qui ont conservé des relations étroites avec leur environnement naturel. Dans ces sociétés, il est interdit de nommer une chose dangereuse, un être craint, sous peine de le faire apparaître.
En Martinique, le chasseur ou le pêcheur d’écrevisses en forêt ne prononce jamais le mot « serpent ». Il parlera prudemment de la bête longue, d’une cravate pour le désigner.
Le «yo» dans un climat de crise, de tensions inter ethniques ravivées par un reportage télévisé, «Les derniers maîtres de la Martinique», et commenté pour les propos racistes, inadmissibles, d’un membre de la communauté békée, désigne l’oppresseur, l’exploiteur, et met en garde.
La Guadeloupe ne leur appartient pas, ils n’y feront pas ce qu’ils veulent.
On pourrait craindre que le slogan fédérateur du mouvement LKP ne se transforme et ne livre précisément à la vindicte populaire l’oppresseur, le colon toujours présent, le « blanc pays. La signification apparente esquive la confrontation. On ne dit pas : «La Gwadloup sé tan nou, sé pa ta zot », la Guadeloupe n’est pas à vous. On ne peut pas soutenir cette affirmation sans rentrer dans le champ ambivalent de l’admis et du contesté.
C’est un fait que les blancs au 17° siècle, s’insérant au sein de la société des Caraïbes insulaires, qui occupent les îles depuis au moins 600 ans, avec violence en Guadeloupe, avec plus de douceur en Martinique, ont forgé ces pays. Ils l’ont fait d’abord en tant qu’engagés, les 36 mois, ou comme petits colons, les habitants, puis avec l’aide et l’exploitation d’esclaves.
Personne pour l’instant ne veut transgresser le tabou de l’institutionnalisation des clivages sociaux historiques. Le langage camouflé permet un artifice pour rejeter l’animosité sur un objet caché, afin que chacun des protagonistes du jeu dramatique qui se déroule, s’exonère de la culpabilité de ne pas pouvoir entamer le dialogue.
Se parler, se connaître conduirait l’une et l’autre communauté à apprendre à se comprendre, à abandonner les relations intransgressibles dans le registre du dominant/dominé, au profit de relations entre classes socialement différentes, qui seraient, elles, porteuses d’espoir et d’apaisement, car la mobilité sociale y aurait sa place.
On constate le repli grandissant d’une Guadeloupe sur elle-même, la montée de la xénophobie, les bouffées discriminatoires. Cette attitude de protection narcissique dans sa quête de construction, reconstruction, de son identité, exclue toute ouverture de la Guadeloupe sur le monde, d'accepter ce qui vient de l’extérieur et d’envisager avec réalisme un projet de société qui reste à élaborer et à bâtir. Il ne suffit pas de dire qu’il y a des jeunes diplômés et que l’on recrute des non guadeloupéens, façon déguisée de ne pas dire un métropolitain, un blanc, un « étranger ».
Il conviendrait de s’interroger sur les raisons qui font que nombre de ces jeunes diplômés d’origine guadeloupéenne, quand ils reviennent au pays, sont rejetés. Beaucoup d’entre eux insérés dans la vie professionnelle dans l’Hexagone, n’envisagent même pas de revenir en Guadeloupe malgré le désir qu’ils ont de rapporter au pays leur expérience, leurs qualités. Ils sont ici considérés de façon méprisante, comme des « Bounty », noirs dehors, blancs dedans.
L’acceptation de l’histoire, du métissage culturel et biologique de la société qui compose la Guadeloupe, conduira peut être notre pays à se tourner vers l’avenir pour préparer et travailler avec réalisme et sans exclusion à ce désir contenu ou exprimé, un changement de statut.
Ce qui est encore du domaine de l’utopie pourrait devenir alors une réalité tangible et offrir à toutes les composantes ethniques de la Guadeloupe, d’origine européenne, africaine, indienne, syro libanaise, pour citer les plus anciennes, qui chacune a sa justification historique de guadeloupéanité, un fonctionnement de société démocratique, respectueuse de toutes ses différences et résolument tournée vers le futur.
Prendre une autre voie risquerait de nous conduire, après la destruction totale du tissu social, à rebâtir une société entièrement fondée sur les abus de toutes sortes, les passe-droits, l’instauration d’une nomenklatura et de ses gardes, autant de ces « pwofitasyon », que tous dénoncent aujourd’hui.
La Guadeloupe comme sa parente proche et différente, la Martinique, doit devenir une île cannibale non pas pour dévorer tous ceux qui la gênent, mais au contraire où tout ce qui passerait à sa portée, courants littéraires, musicaux, plastiques… serait examiné, reniflé, capturé, transformé et assimilé pour créer un nouveau courant métis multiforme, une nouvelle créolité guadeloupéenne."
Cette extrait d'une analyse d'Henry Petitjean Roget vaut aussi pour la Martinique il suffit de lire Martinique au lieu de Guadeloupe.
CETTE ANALYSE EST PUBLIEE IN-EXTENSO DANS NOTRE RUBRIQUE GUADELOUPE. A LIRE
Henry Petitjean Roget Docteur en Préhistoire
Dpl. VI° section Sciences Economiques et Sociales
EHSS Paris.
Le « yo » qui se traduit par « eux » renvoie à un autre indéterminé. Les « eux » ne sont pas nommés.
Eux, ne désigne personne en particulier. Il s’inscrit dans le registre d’une pensée somme toute commune à nombre de sociétés précapitalistes ou traditionnelles qui ont conservé des relations étroites avec leur environnement naturel. Dans ces sociétés, il est interdit de nommer une chose dangereuse, un être craint, sous peine de le faire apparaître.
En Martinique, le chasseur ou le pêcheur d’écrevisses en forêt ne prononce jamais le mot « serpent ». Il parlera prudemment de la bête longue, d’une cravate pour le désigner.
Le «yo» dans un climat de crise, de tensions inter ethniques ravivées par un reportage télévisé, «Les derniers maîtres de la Martinique», et commenté pour les propos racistes, inadmissibles, d’un membre de la communauté békée, désigne l’oppresseur, l’exploiteur, et met en garde.
La Guadeloupe ne leur appartient pas, ils n’y feront pas ce qu’ils veulent.
On pourrait craindre que le slogan fédérateur du mouvement LKP ne se transforme et ne livre précisément à la vindicte populaire l’oppresseur, le colon toujours présent, le « blanc pays. La signification apparente esquive la confrontation. On ne dit pas : «La Gwadloup sé tan nou, sé pa ta zot », la Guadeloupe n’est pas à vous. On ne peut pas soutenir cette affirmation sans rentrer dans le champ ambivalent de l’admis et du contesté.
C’est un fait que les blancs au 17° siècle, s’insérant au sein de la société des Caraïbes insulaires, qui occupent les îles depuis au moins 600 ans, avec violence en Guadeloupe, avec plus de douceur en Martinique, ont forgé ces pays. Ils l’ont fait d’abord en tant qu’engagés, les 36 mois, ou comme petits colons, les habitants, puis avec l’aide et l’exploitation d’esclaves.
Personne pour l’instant ne veut transgresser le tabou de l’institutionnalisation des clivages sociaux historiques. Le langage camouflé permet un artifice pour rejeter l’animosité sur un objet caché, afin que chacun des protagonistes du jeu dramatique qui se déroule, s’exonère de la culpabilité de ne pas pouvoir entamer le dialogue.
Se parler, se connaître conduirait l’une et l’autre communauté à apprendre à se comprendre, à abandonner les relations intransgressibles dans le registre du dominant/dominé, au profit de relations entre classes socialement différentes, qui seraient, elles, porteuses d’espoir et d’apaisement, car la mobilité sociale y aurait sa place.
On constate le repli grandissant d’une Guadeloupe sur elle-même, la montée de la xénophobie, les bouffées discriminatoires. Cette attitude de protection narcissique dans sa quête de construction, reconstruction, de son identité, exclue toute ouverture de la Guadeloupe sur le monde, d'accepter ce qui vient de l’extérieur et d’envisager avec réalisme un projet de société qui reste à élaborer et à bâtir. Il ne suffit pas de dire qu’il y a des jeunes diplômés et que l’on recrute des non guadeloupéens, façon déguisée de ne pas dire un métropolitain, un blanc, un « étranger ».
Il conviendrait de s’interroger sur les raisons qui font que nombre de ces jeunes diplômés d’origine guadeloupéenne, quand ils reviennent au pays, sont rejetés. Beaucoup d’entre eux insérés dans la vie professionnelle dans l’Hexagone, n’envisagent même pas de revenir en Guadeloupe malgré le désir qu’ils ont de rapporter au pays leur expérience, leurs qualités. Ils sont ici considérés de façon méprisante, comme des « Bounty », noirs dehors, blancs dedans.
L’acceptation de l’histoire, du métissage culturel et biologique de la société qui compose la Guadeloupe, conduira peut être notre pays à se tourner vers l’avenir pour préparer et travailler avec réalisme et sans exclusion à ce désir contenu ou exprimé, un changement de statut.
Ce qui est encore du domaine de l’utopie pourrait devenir alors une réalité tangible et offrir à toutes les composantes ethniques de la Guadeloupe, d’origine européenne, africaine, indienne, syro libanaise, pour citer les plus anciennes, qui chacune a sa justification historique de guadeloupéanité, un fonctionnement de société démocratique, respectueuse de toutes ses différences et résolument tournée vers le futur.
Prendre une autre voie risquerait de nous conduire, après la destruction totale du tissu social, à rebâtir une société entièrement fondée sur les abus de toutes sortes, les passe-droits, l’instauration d’une nomenklatura et de ses gardes, autant de ces « pwofitasyon », que tous dénoncent aujourd’hui.
La Guadeloupe comme sa parente proche et différente, la Martinique, doit devenir une île cannibale non pas pour dévorer tous ceux qui la gênent, mais au contraire où tout ce qui passerait à sa portée, courants littéraires, musicaux, plastiques… serait examiné, reniflé, capturé, transformé et assimilé pour créer un nouveau courant métis multiforme, une nouvelle créolité guadeloupéenne."
Cette extrait d'une analyse d'Henry Petitjean Roget vaut aussi pour la Martinique il suffit de lire Martinique au lieu de Guadeloupe.
CETTE ANALYSE EST PUBLIEE IN-EXTENSO DANS NOTRE RUBRIQUE GUADELOUPE. A LIRE
Henry Petitjean Roget Docteur en Préhistoire
Dpl. VI° section Sciences Economiques et Sociales
EHSS Paris.