M. Serge Letchimy. Je voudrais tout d’abord saluer Alfred Almont et l’assurer de toute ma sympathie. Il a énormément travaillé ce texte et il tenait, je le sais, à être présent parmi nous.
Je voudrais également manifester toute ma solidarité avec La Réunion, qui connaît le même type de problèmes que nous avons connu en Martinique.
Avant de commencer mon intervention, je voudrais faire une mise au point. La réforme nous impose ce circuit très particulier : il est paradoxal de discuter du renvoi en commission d’un texte issu de la commission.
J’insiste également sur les conditions dans lesquelles nous avons travaillé : ce document n’a été disponible que lundi matin. Je sais que cela a été difficile aussi pour M. le rapporteur. Vous l’avez dit, monsieur le président Ollier, comme le président Migaud : il est nécessaire de disposer des documents de travail au moins deux à trois jours à l’avance.
J’insisterai encore sur la question du droit d’amendement. Il y a vraiment un problème, car ici nous avons assisté à la construction progressive d’amendements anonymes.
Pourtant, la possibilité pour un parlementaire de travailler un amendement et de le présenter in fine en séance me paraît un droit extrêmement important dans une démocratie parlementaire. Or ici, ce n’est plus le cas : en cours de route, l’amendement prend le nom du rapporteur de la commission pour avis ou de celui de la commission saisie au fond.
Ce n’est pas que je doute de l’honnêteté des rapporteurs de redonner la main à l’initiateur de l’amendement, mais je crois que c’est un vrai problème auquel il faut réfléchir. Je connais vos réflexions pertinentes sur la question, monsieur le président Ollier.
J’aborderai un dernier point liminaire : nous avons déjà discuté hier de ce sujet, je serai donc rapide. La question du langage se pose – je parle de la barbarie linguistique qui concerne l’outre-mer.
Moi, je ne suis pas un « domien » ni un « outre-mérien », je ne suis pas plus un « rupien ». Je suis un Martiniquais, oui, proprement Martiniquais ; et je ne me sentirai mieux en France que quand on nous acceptera, moi et les autres, comme Martiniquais, et quand on acceptera de même les Guadeloupéens.
Mme Marie-Christine Dalloz. Vous pourriez vous sentir français, tout simplement !
M. Serge Letchimy. Eh oui, je suis Martiniquais.
C’est très important, car cette barbarie linguistique est un stigmate ; elle donne le sentiment d’un cliché catégoriel assez surprenant, au détriment de ce que j’appelle la personnalité collective des peuples de l’outre-mer – notamment de la Guadeloupe, de la Guyane, de La Réunion et de la Martinique.
Nous sommes face à un choix cornélien. Quel que soit l’avis que nous pouvons avoir sur ce texte, il est clair qu’il recèle certaines réponses à la crise – on ne peut pas vous reprocher cela. Cependant, nous ne pouvons nous dispenser d’analyser les choix intellectuels faits au fond : c’est un devoir, une obligation.
Le texte est fondé sur un triptyque emploi, logement, pouvoir d’achat. Mais comment dissocier ces éléments de trois autres : la gouvernance, les choix économiques, la rénovation sociétale ?
Je voudrais enfin poser une question avant de commencer mon analyse. Le Président de la République a annoncé un rendez-vous législatif après les états généraux. Mais y aura-t-il une loi nouvelle pour les outre-mer – terme que je n’aime pas, mais que j’utilise pour la compréhension – ou y aura-t-il des textes éparpillés ici et là, dans des lois de nature économique ou financière, voire des lois de finances ?
La réponse à cette question doit être claire, car c’est d’elle que dépendra l’apport des états généraux.
Je l’ai dit à plusieurs reprises : le choix de saisir au fond la commission des finances pour un projet de loi de développement économique me semble extrêmement ambigu – l’excellent président de cette commission ne me contredira pas. C’est l’économique qui devrait définir les grandes orientations, en utilisant les éléments financiers et fiscaux, et non le contraire.
On pourrait ajouter aux alertes, aux récriminations, aux doléances entendues dans les débats qui ont eu lieu ici même hier, mais aussi à celles qu’ont lancées des générations de parlementaires qui se sont succédé à cette tribune, on entendrait, de mon point de vue le même contrepoint, à tout le moins stérile, comme un concert immobile dans une chambre d’écho.
Je sais, monsieur le secrétaire d’État, que vous n’êtes pas le premier auteur de ce texte, et que vous avez d’ailleurs tout fait pour l’améliorer, mais vous en portez aujourd’hui la responsabilité au nom du Gouvernement.
J’ai vécu en première ligne – comme d’autres – ce phénomène qui s’est produit en Martinique et en Guadeloupe, et cela m’a persuadé d’une chose : l’heure n’est ni à la demi-mesure ni à l’exacerbation d’une logique mortifère d’abdication ou de défaite. L’heure est à la refondation : refondation de ce que l’on appelle lapidairement DOM-TOM, mais aussi refondation de l’idée que nous nous faisons de la République, de l’Europe, de leurs fonctions et de leurs rôles dans un monde aussi changeant et ouvert qu’imprévisible.
Je n’ai donc aucune intention de me contenir dans une analyse comptable de votre projet de loi. Ce serait tomber dans cet abîme de facilité au fond duquel nous nous sommes installés – je dis bien nous, Martiniquais et Guadeloupéens, mais vous aussi : nous nous contentons de traiter le plus immédiat en tournant le dos à toute perspective et à tout horizon.
Pourtant, et il faut le reconnaître, au plus haut niveau de l’État, et à celui qui est le vôtre, on a dressé un constat affligeant de la situation : « essoufflement du mode de développement antillais », « dépendance vis-à-vis des importations », « économie de comptoir », « situations de monopole »...
Le Président de la République est même allé beaucoup plus loin : le 19 février, il a évoqué « la fin d’un cycle historique ». Il parle, si je comprends bien, de la nécessité de mettre fin aux pwofitasyon, mot générique pour désigner les exploitations outrancières, les abus de positions dominantes, de puissance ou de force vis-à-vis de consommateurs affaiblis et captifs.
Pour faire face à ces mécanismes mortifères qui minent les outre-mer, qui facilitent toutes les logiques de prédation économique, votre projet de loi a résolument pris le parti du refus d’une véritable audace, celle du dépassement des codifications classiques des politiques de développement dans nos pays.
Elle emprunte, comme cela a été fait de toute éternité, la voie classique des exonérations de charges et de la défiscalisation, conceptualisées par l’État. C’est paradoxal, car cette voie est censée nous mener à une véritable autonomie économique. Mais comment peut-on parvenir à une autonomie économique sans levier d’auto-institution du développement, notamment sans véritables leviers fiscaux ?
Monsieur le secrétaire d’État, cette voie, déjà largement empruntée, n’a fait que renforcer notre dépendance, n’a fait que renforcer notre assistanat ! L’idée d’autonomie économique est généreuse, et c’est surtout de l’assumer, de l’explorer, de la comprendre qui nous permettra d’envisager enfin les voies originales et audacieuses qu’une telle ambition de développement endogène exige.
Ce n’est pas le chemin qui fait l’horizon, mais bien l’horizon qui dégage le chemin. Au-delà de l’idée, il s’agit de bâtir des résiliences, des résistances propres aux petites économies insulaires ainsi qu’au plateau amazonien, réinscrit dans le contexte sud-américain.
Nous sommes au XXIe siècle, à l’ère de la mondialisation, du capitalisme financier et de ses dérégulations les plus obscènes. Nous vivons une crise climatique qui nous impose des alternatives économiques, énergétiques et sociales fondées sur une nouvelle éthique du développement dans les domaines de l’innovation technologique et écologique, des champs inexplorés de la science du vivant et de la technologie marine et terrestre, caractérisés par la biodiversité.
Nous devons sortir de l’impasse du déséquilibre entre politique financière et politique fiscale, qui ne favorise pas la création d’emplois – vous l’avez répété à plusieurs reprises, le taux de chômage dans ces pays n’a pas considérablement évolué.
C’est un appel à un nouveau paradigme que je lance. Il s’adresse d’abord à nous, Martiniquais, Guadeloupéens, Réunionnais, Guyanais. Nous devons porter un nouveau regard sur nous-mêmes, notamment sur le mode et la nature de notre consommation et de notre production, mais aussi sur les valeurs essentielles à une société de progrès, fondée sur la solidarité et le partage équitable des richesses. Nous devons également revoir notre posture vis-à-vis de l’Europe : nos relations devraient être fondées sur nos atouts plutôt que sur nos handicaps.
Car si l’Europe nous accompagne de manière significative sur le plan financier, affirmant ainsi une politique de solidarité, elle nous contraint en matière de gouvernance interne.
L’idée d’autonomie économique que vous avez lancée et que le Premier ministre a lancée en Martinique ouvre en outre un nouveau champ des possibles, la perspective d’un recommencement fondé sur le respect et la reconnaissance mutuels entre l’hexagone et nos terres lointaines.
Il ne s’agit pas de replâtrer un projet législatif qu’une crise inattendue a rendu obsolète, mais de ne pas craindre de se donner le temps d’aller à l’essentiel. Car, pour une vraie politique, il n’y a jamais qu’une urgence : l’urgence de l’essentiel. Et c’est sur fond de cette urgence que s’élève notre demande de renvoi en commission.
Vous affichez des chiffres en guise de réponse à la crise, alors qu’il faudrait se préoccuper d’émancipation et de démocratie économique. Vous proposez des règles et des mécanismes pour contraindre les politiques fiscales, cher rapporteur, notamment la défiscalisation, quand il faudrait redessiner le paradigme même de nos économies insulaires.
Car cette crise dans les outre-mer est bien un appel à la refondation politique, au sens de l’utopie qu’Aimé Césaire a appelée de ses vœux. Nous devons la considérer non comme un brouillard de revendications sociales, mais comme le souffle impressionnant d’une recherche de sens. Nous devons faire preuve de cette clairvoyance, voire de cette solennité, seul moyen d’éviter, comme l’ont écrit les quatre évêques des départements d’outre-mer, une défaite irrémédiable qui serait en fait la défaite de l’homme.
Monsieur le secrétaire d’État, même s’il nous faut reconnaître que vous avez tout fait pour apporter des réponses financières à de nombreux problèmes posés par la crise, même si nous ne devons pas oublier que ce projet sert de « pompier législatif » dans l’attente des conclusions des états généraux, permettez-moi de n’être convaincu ni par sa portée économique ni par sa philosophie politique déficiente.
La gravité de la situation impose de sortir des sentiers battus ; or, je l’ai dit, ce n’est possible qu’à condition d’inventer un horizon nouveau. L’essentiel, donc l’urgence, c’est d’ouvrir nos sociétés à une inventivité sociale permanente : on peut difficilement parler d’autonomie économique sans parler d’autonomie sociale et politique, au sens des réseaux de dialogue, de concertation, de créativité participative, qui permettront de relever les différents défis auxquels nous sommes confrontés.
Tout a été expérimenté, sauf cette idée très simple d’une libération de la créativité par un processus de responsabilisation dans lequel les droits à égalité – pour citer l’un des entretiens que vous avez accordés à la presse, monsieur le secrétaire d’État – et les droits aux libertés trouveront pleinement à s’exprimer en termes politiques, économiques et sociaux.
Sans responsabilisation, les lois d’orientation se succèdent, se reproduisent et s’en vont. Et que nous reste-t-il ?
Ici, dans l’hexagone, une impression de mépris, de dépendance et d’assistanat, à laquelle s’ajoutent des discriminations larvées et l’ignorance quasi totale de ce que nous sommes.
Nous représentons 2,5 millions d’habitants ; 559 000 kilomètres carrés ; 10 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive, soit 97 % de la surface maritime française encore inexplorée ; 80 % de la biodiversité française et l’un des vingt-cinq « points chauds de biodiversité » du monde, ce qui confère à l’Europe et à la France une dimension planétaire essentielle.
Mais quel parti les outre-mer en tirent-ils ?
Nos pays sont victimes d’un désastre social structurel, malgré une croissance canalisée par un système de « profitation » financière mondialisée qui y trouve un terreau colonial propice.
Notre taux de chômage est très élevé 25 % à 30 % selon le Bureau international du travail.
Notre PIB moyen ne dépasse pas 15 747 euros par habitant, contre 28 721 en France.
Le taux de pauvreté atteint 20 % en Guyane et 12 % en Guadeloupe comme en Martinique, contre 6 % dans l’Hexagone.
Dans nos régions, 15 % des salaires sont équivalents au SMIC, contre 6 % en France. Mais voici le plus grave : le taux de couverture est en moyenne de 8,5 % dans les outre-mer, contre 89,9 % en France.
En outre, l’industrie et l’agriculture ne représentent que 6 % des emplois et le tourisme ne couvre que 7 % du PIB. Le taux d’activité des jeunes n’est que de 19 %, contre près de 40 % dans l’hexagone, et le taux de chômage des femmes est de cinq points plus élevé qu’en France.
Nous en arrivons à une situation inacceptable : nous ne produisons que 10 % à 15 % en moyenne de ce que nous consommons, maraîchers inclus, et, dans le secteur de la pêche, la production ne dépasse pas 30 % de notre consommation.
S’agissant du foncier, de nombreux élus l’ont indiqué hier, le cas particulier de la Guyane révèle des freins d’État inadmissibles qui empêchent les collectivités locales de disposer des terres et d’être véritablement impliquées au titre du schéma minier. Qu’elles cessent d’assister en spectatrices au pillage de leurs richesses naturelles, et qu’elles impulsent une politique énergétique, minière et écologique à la mesure du défi guyanais !
Le fait que le code minier n’ait pas été réformé depuis neuf ans malgré la législation et la délivrance par l’État d’autorisations de recherche et d’exploitation au large de Trinité, en Martinique, et au large de la Guyane constituent une provocation et témoignent d’un refus d’impliquer la Guyane et la Martinique dans une dynamique de développement. Une fois de plus, les prérogatives sont laissées aux seules mains de trusts transnationaux dont on sait qu’ils n’ont aucune éthique, voire aucune morale.
La Martinique perd mille hectares de terre agricole par an et sa réserve utile – Alfred Marie-Jeanne l’a dit hier – est passée de 60 000 hectares il y a quinze ans à 27 000 aujourd’hui. À cette allure, il n’y aura bientôt plus de terre pour l’agriculture, encore moins pour les Martiniquais.
La situation est aggravée par le problème des pesticides, notamment de l’empoisonnement des terres par le chlordécone et de ses conséquences épidémiologiques, sanitaires et économiques, aujourd’hui inconnues.
En outre, plus de 15 000 hectares en friche sont encore plus menacés. Face à cette situation inquiétante, tout le monde recule, alors qu’il aurait fallu sortir de la structure agraire coloniale, appliquer avec vigueur la loi sur les terres en friche, et prendre des mesures de salut public permettant, par exemple en Martinique, de bloquer au moins 50 000 hectares de terres agricoles pendant au moins vingt ans, sans possibilité de déclassement, afin de protéger la production locale.
On pourrait également s’interroger sur l’obscure réalité des monopoles, sur les pactes d’exclusivité qui faussent la concurrence, sur le coût du fret et du transport, sur les conditions techniques et administratives de formation des prix, qui échappent mécaniquement aux institutions locales, invalidées en permanence. Vous avez du reste saisi l’autorité de la concurrence à ce sujet.
Telles sont, monsieur le secrétaire d’État, les réalités que dissimule la prétendue autonomie économique : l’absence de gouvernance sociale, fiscale et administrative.
Avant d’évoquer ce qui choque dans votre texte, je tiens à vous dire que le Gouvernement auquel vous appartenez a été bien inspiré de soutenir les activités porteuses d’avenir, dont l’agronutrition, au titre des zones franches globales d’activité ; de créer un fond exceptionnel d’investissement pour soutenir les investissements publics de valorisation et d’aménagement ; d’accorder une priorité territoriale aux zones en difficulté ; de réintroduire une dégressivité plus attractive des exonérations de charges, afin de faciliter le recrutement de cadres ; d’appliquer les décisions de l’État sur les bas salaires.
À ce propos, j’appelle votre attention sur l’applicabilité et la convertibilité du bonus exceptionnel, essentiel si l’on veut sortir définitivement de la crise.
Venons-en à ce qui choque. Il aura malheureusement fallu cette crise pour révéler le caractère inadapté du texte, dont le titre ne mentionne plus la « promotion de l’excellence ».
Les abattements et les exonérations que vous proposez auraient dû donner lieu à des évaluations annuelles des performances des entreprises. D’ailleurs, le texte n’oblige ni n’incite à l’embauche, malgré la gravité de la situation de l’emploi.
Quant à la continuité territoriale, le retard demeure considérable, même si des actions significatives, telle la défiscalisation des câbles, vont dans le bon sens. Alors que l’on baisse le prix des voyages en avion entre l’outre-mer et la France, comment expliquer qu’il continue d’intégrer une taxe « carburant » instituée en 2003, en lien avec les événements du 11 septembre, et qui est passée en deux ans de 69 à 170 euros ? Vous devriez exiger d’Air France qu’elle modifie cette taxation dans le cadre de la négociation sur les prix que vous menez.
Ce qui choque, c’est aussi l’absence de mesures exceptionnelles destinées aux microentreprises, pourtant souhaitées par nombre de nos parlementaires. Les TPE et les activités commerciales de proximité représentent 90 % du tissu économique et constituent le premier vivier d’activité et d’emplois. Le FISAC, que vous évoquez souvent, se contente d’accompagner le dispositif d’aménagement.
Il aurait été essentiel de soutenir ces activités, d’autant que ces petites entreprises n’ont pas droit à des prestations sociales décentes, malgré des taux de cotisation exorbitants, car les caisses de retraite sont excentrées dans l’hexagone, en raison d’un décret du 30 décembre 1992 qui n’a pas autorisé l’extension du droit commun aux départements d’outre-mer.
Ce qui choque, c’est encore la discontinuité et l’absence d’évaluation et de lisibilité des politiques publiques fiscales et financières, qui ne font l’objet ni d’un bilan sérieux, ni des études d’impact prévues par la loi. Ma collègue Jeanny Marc y a fait allusion hier. L’enjeu fondamental est d’unir en une équation dynamique et féconde fiscalité, développement et responsabilité.
Il me paraît d’ailleurs essentiel – c’est un second appel – de moderniser la fiscalité outre-mer afin que les collectivités locales ne soient pas dépendantes d’une fiscalité assise sur la consommation, donc sur les importations, ce qui réduit la production locale potentielle.
Monsieur le secrétaire d’État, votre zone franche globale d’activité aurait pu être plus novatrice.
Malheureusement fondée sur le seul soutien à l’activité, elle n’est donc pas aussi globale que son nom le laisse penser. Il s’agit d’une activité sans marché, sans désenclavement, sans accès au crédit ni à l’immobilier d’entreprise, sans promotion des filières, sans encadrement des circuits de distribution, sans mobilisation de l’épargne locale pour créer un fonds d’investissement.
Cette politique de développement est incapable de faire appel à l’épargne publique pour rattraper nos retards considérables en matière d’infrastructures, qui nous privent notamment d’infrastructures touristiques dignes de ce nom ; incapable de faire, par exemple, de la ville de Saint-Pierre un projet d’intérêt national – c’est une nécessité pour le tourisme – et de la doter de l’aménagement escompté ; incapable d’ériger en priorités les domaines d’excellence de l’écologie économique ou de l’agriculture biologique ; incapable de donner à nos pays un véritable statut géopolitique de coopération en matière d’échanges économiques régionaux ; incapable de nous doter d’une position politique stratégique qui ne soit pas invalidée par une coopération digne d’une république de comptoir.
Votre texte ne traite pas de certaines questions cruciales. C'est dommage. Je veux parler de celles qui pourraient nous faire cheminer ensemble vers la recherche du sens, celles qui mettent en jeu l'identité comme dynamique d'épanouissement, celles qui ont trait à la possibilité pour nous d’inscrire notre existence dans le bassin de vie auquel nous appartenons sans pour autant nous écarter de l'ensemble français ou de l'espace européen, celles encore qui permettent, à travers le fait syndical, d’établir une vraie démocratie sociale et un vrai dialogue social en donnant une cohésion à des sociétés habitées par les traces humiliantes de la colonisation et de l'exploitation de l'homme par l'homme, celles enfin relatives au statut de la langue créole après qu’un amendement voté le 22 mai 2008 a levé l'obstacle que constituait la décision du 15 juin 1999 du Conseil Constitutionnel qui s'était opposé à la signature de la charte européenne des langues régionales.
Je sais, monsieur le secrétaire d’État, que vous m'inviterez à formuler toutes ces propositions dans le cadre des états généraux : comme si les choix économiques et financiers étaient dissociables des choix de société, donc des choix humains ! Je crains, de surcroît, que ces états généraux manquent d'énergie si cette loi, qui les précède, continue d’être si peu audacieuse et si peu pertinente.
C’est à nous d'assurer la pleine participation du peuple, tant dans l'hexagone que dans les différents pays.
S'il y a un cri auquel on ne saurait rester sourd, c'est celui de la jeunesse dont la moitié est au chômage. Je m'associe à l'appel de Huguette Bello, d'Alfred Almont et d’Alfred Marie-Jeanne et à ceux qui plaident en faveur d’une loi spécifique aux jeunes d’outre-mer. Je l'ai appelée « plan Marshall » mais elle pourrait porter le nom de l'un de ceux qui vivent leur malheur comme un vrai suicide social. Nous présenterons des amendements en ce sens.
S'il y a un dossier important, voire innovant, dans votre texte, c'est celui du logement et de l'habitat. J'ai d'ailleurs accepté, à votre demande, d'apporter ma contribution à la question de la résorption de l'habitat insalubre dans les départements d'outre-mer.
Mais la situation est grave. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 65 000 demandes non satisfaites pour 7 700 logements financés par l'État en 2007 dont seulement 2 500 HLM.
Pour ce qui est de la Martinique, il faudrait trente-neuf ans pour rattraper les retards accumulés. Dans ces conditions, toute solution et initiative allant dans le sens de l'amélioration de la situation est à saluer. Je me félicite donc de l’alignement du forfait charges, du dispositif de lutte contre la vacance et l'indivision, de la mise en place des conventions d’action foncière, les CAFO, du lissage de la fin de la défiscalisation dans le logement libre et intermédiaire, du maintien de la défiscalisation pour les primo-accédants, de la revalorisation des prix plafond, qui approchent les 2 200 euros, de l'éligibilité de la réhabilitation à la défiscalisation et de l'application du dispositif Scellier.
Pour répondre à ces besoins extrêmement importants, monsieur le secrétaire d’État, vous nous proposez une solution qui m’apparaît comme particulièrement dangereuse, délicate et incertaine. Je rappelle que 80 % des 65 000 demandes de logement relèvent du social ou du très social.
Or aucune simulation, sauf en Nouvelle-Calédonie, comme l’a relevé Huguette Belo, ne démontre la capacité de ce montage d'atteindre le montant du loyer correspondant à un logement locatif social – 5,60 euros le mètre carré – et encore moins celui d’un logement locatif très social.
L'investissement par la défiscalisation est une initiative privée. Dépendant de la volonté des uns et des autres de participer au dispositif, elle est aléatoire.
Je rappelle que le droit au logement est un droit inaliénable et imprescriptible reconnu par la loi relative au droit au logement, qui donne à l'État une responsabilité d’intérêt public majeure.
Or nous risquons d'aller progressivement vers une privatisation du financement du logement social, comme plusieurs de mes collègues l’ont rappelé. Votre engagement, monsieur le secrétaire d’État, d'assurer la constance de l'augmentation sur trois ans dépend de la longévité politique du gouvernement qui prend cette décision. Elle est donc susceptible d’être remise en cause.
La tentation de ponctionner sur la LBU pour équilibrer le financement de la politique du logement risque de remettre en cause le principe que vous avez énoncé. C’est la raison pour laquelle il faut sacraliser cette LBU, en la consacrant au financement de la politique du logement social, car la défiscalisation aboutira certainement à des loyers supérieurs à 5,60 euros par mètre carré.
Cela est d'autant plus vrai que la mise à l’index de ceux qui, grâce à la défiscalisation, se substituent à l’État pour les investissements publics, que le durcissement de votre texte sur toute une série de paramètres comme la modification des seuils d’agrément – de 4,6 millions à 1 million puis à 2 millions d’euros –, le plafonnement global des niches, qui intègre désormais le logement social, le caractère très avantageux du dispositif Scellier applicable en outre-mer ainsi que de celui applicable à l’hexagone, risquent de vous empêcher de disposer des 200 millions d’euros que vous souhaitez obtenir par la défiscalisation.
Monsieur le secrétaire d’État, permettez-moi de vous rendre sensible au risque d’une déstabilisation potentielle des politiques du logement social. Celui-ci tient d’abord à nos propres carences locales en matière de politique foncière : il est de notre responsabilité de créer des établissements publics fonciers dans les différents départements, car les politiques de construction sont devenues complexes. On ne peut plus sacrifier une dizaine d’hectares de champs de banane ou de champs de canne pour mener à bien de vastes programmes de construction de logements.
Nous sommes désormais obligés de rentrer dans la complexité du foncier et d’apporter des réponses techniques appropriées. Ce risque provient ensuite de la débudgétisation progressive du financement du logement public, au profit – je n’hésite pas à employer ce mot – d’une privatisation potentielle, une évolution qui ne dépend pas directement de la volonté du Gouvernement actuel mais qui a partie liée avec la philosophie qui est déclinée aujourd’hui.
Monsieur le secrétaire d’État, il existe un vieil adage, sans doute issu d'une vieille conception de la colonisation, selon lequel « ce qui ne rapporte pas coûte ». Cela nous renvoie à toute la campagne de dénigrement menée contre « l'outre-mer qui nous coûte cher ».
J'ai déjà évoqué tout ce que nos pays apportent à l'image de la France et à son rayonnement. Toutefois, je refuse le troc, je préfère vous proposer aujourd'hui ou demain de donner une âme aux ambitions de cette loi : une philosophie politique.
Chers collègues, les nations orgueilleuses ont, durant des millénaires, fondé leur développement sur une perception centralisée et verticale de leur unité. Mais à mesure que le monde est devenu monde, ces nations ont dû renoncer à cette verticalité pour mieux vivre la richesse des solidarités latérales et des interdépendances complexes.
L'idée de l'Europe se réalise ainsi dans la solidarité et dans l'interdépendance des nations qui la constituent, dans la solidarité et dans l'interdépendance nées de la diversité des cultures, des langues, de visions du monde qui fondent non seulement sa richesse mais le principe même de sa vitalité et de son apport indispensable au monde. L'idée de l'Europe n'est qu'une étape vers l'union globale de toutes les unions possibles. Elle n'est qu'une étape vers ce moment où la conscience-monde sera riche de toutes les nations et cultures que les hommes ont pu produire et qu'ils veulent vivre de manière transversale.
Le métabolisme planétaire n'est pas seulement constitué de grandes dynamiques naturelles, il se fonde aussi sur cette diversité étonnante qui fait l'unité humaine et sans laquelle l'espèce humaine ne saurait affronter les grands défis auxquels elle doit faire face pour sa survie même – et c’est de la survie de ces départements qu’il est question aujourd’hui. Et ce qui est vrai à l'échelle de la planète et des unions de peuples l'est à l'échelle de chacune des nations.
Reconnaître les diversités intérieures, mobiliser les différences, libérer les imaginaires et les créativités, faire chanter les langues et les cultures, respecter les dieux et les croyances, ne tolérer aucune ombre dans les histoires communes et insuffler le sens des responsabilités contre toutes les anesthésies et les apathies, voilà les fondements des nouvelles alliances et du nouveau pacte républicain dont nous avons besoin !
Voilà les valeurs sur la base desquelles la France devrait aujourd'hui repenser ses liens et ses rapports avec les pays que l'on dit d'outre-mer !
Même lorsque nous nous serons accordés sur les mesures économiques urgentes et sur les outils de fiscalité susceptibles de nourrir nos élans, il restera en effet toujours cette nécessité de penser la République nouvelle : une République qui ne craint pas sa diversité mais qui sait en faire un atout ; une République qui ne réduit pas les peuples à des populations mais qui, au contraire, les nomme, les accueille, les stimule et se stimule avec eux dans des liens de solidarité et de responsabilité ; une République qui ne demande pas à choisir entre la sujétion irresponsable ou le largage mais qui assume, dans le respect de l'autre, les solidarités et les responsabilités qui lui viennent de son histoire.
Ce sont ces liens de solidarité et de responsabilité qui donneront du sens à tous les dispositifs que nous pourrions envisager. Pour cela, il faut rompre avec ce cycle infernal des lois financières qui dessinent les contours du développement, et prendre le temps de penser autrement.
Prenons ce temps, monsieur le secrétaire d’État, et réexaminons ce projet de loi en commission.
NDLR. Combien de fois Aimé Césaire et les autres ont examiné,réexaminé avec les maîtres du domaine colonial sans que rien ne change et que tout continue. La France coloniale ne connaît qu'un langage celui de la rue et seule la mobilisation du Peuple peut appuyer le discours de l'élu.Cette permanence de l'Histoire est incontournable. Aimé Césaire a déjà tout dit aux Français dans cette AN.
Le temps du passage à l'Acte ,d'éxecution du testament Césairien est arrivé.
Je voudrais également manifester toute ma solidarité avec La Réunion, qui connaît le même type de problèmes que nous avons connu en Martinique.
Avant de commencer mon intervention, je voudrais faire une mise au point. La réforme nous impose ce circuit très particulier : il est paradoxal de discuter du renvoi en commission d’un texte issu de la commission.
J’insiste également sur les conditions dans lesquelles nous avons travaillé : ce document n’a été disponible que lundi matin. Je sais que cela a été difficile aussi pour M. le rapporteur. Vous l’avez dit, monsieur le président Ollier, comme le président Migaud : il est nécessaire de disposer des documents de travail au moins deux à trois jours à l’avance.
J’insisterai encore sur la question du droit d’amendement. Il y a vraiment un problème, car ici nous avons assisté à la construction progressive d’amendements anonymes.
Pourtant, la possibilité pour un parlementaire de travailler un amendement et de le présenter in fine en séance me paraît un droit extrêmement important dans une démocratie parlementaire. Or ici, ce n’est plus le cas : en cours de route, l’amendement prend le nom du rapporteur de la commission pour avis ou de celui de la commission saisie au fond.
Ce n’est pas que je doute de l’honnêteté des rapporteurs de redonner la main à l’initiateur de l’amendement, mais je crois que c’est un vrai problème auquel il faut réfléchir. Je connais vos réflexions pertinentes sur la question, monsieur le président Ollier.
J’aborderai un dernier point liminaire : nous avons déjà discuté hier de ce sujet, je serai donc rapide. La question du langage se pose – je parle de la barbarie linguistique qui concerne l’outre-mer.
Moi, je ne suis pas un « domien » ni un « outre-mérien », je ne suis pas plus un « rupien ». Je suis un Martiniquais, oui, proprement Martiniquais ; et je ne me sentirai mieux en France que quand on nous acceptera, moi et les autres, comme Martiniquais, et quand on acceptera de même les Guadeloupéens.
Mme Marie-Christine Dalloz. Vous pourriez vous sentir français, tout simplement !
M. Serge Letchimy. Eh oui, je suis Martiniquais.
C’est très important, car cette barbarie linguistique est un stigmate ; elle donne le sentiment d’un cliché catégoriel assez surprenant, au détriment de ce que j’appelle la personnalité collective des peuples de l’outre-mer – notamment de la Guadeloupe, de la Guyane, de La Réunion et de la Martinique.
Nous sommes face à un choix cornélien. Quel que soit l’avis que nous pouvons avoir sur ce texte, il est clair qu’il recèle certaines réponses à la crise – on ne peut pas vous reprocher cela. Cependant, nous ne pouvons nous dispenser d’analyser les choix intellectuels faits au fond : c’est un devoir, une obligation.
Le texte est fondé sur un triptyque emploi, logement, pouvoir d’achat. Mais comment dissocier ces éléments de trois autres : la gouvernance, les choix économiques, la rénovation sociétale ?
Je voudrais enfin poser une question avant de commencer mon analyse. Le Président de la République a annoncé un rendez-vous législatif après les états généraux. Mais y aura-t-il une loi nouvelle pour les outre-mer – terme que je n’aime pas, mais que j’utilise pour la compréhension – ou y aura-t-il des textes éparpillés ici et là, dans des lois de nature économique ou financière, voire des lois de finances ?
La réponse à cette question doit être claire, car c’est d’elle que dépendra l’apport des états généraux.
Je l’ai dit à plusieurs reprises : le choix de saisir au fond la commission des finances pour un projet de loi de développement économique me semble extrêmement ambigu – l’excellent président de cette commission ne me contredira pas. C’est l’économique qui devrait définir les grandes orientations, en utilisant les éléments financiers et fiscaux, et non le contraire.
On pourrait ajouter aux alertes, aux récriminations, aux doléances entendues dans les débats qui ont eu lieu ici même hier, mais aussi à celles qu’ont lancées des générations de parlementaires qui se sont succédé à cette tribune, on entendrait, de mon point de vue le même contrepoint, à tout le moins stérile, comme un concert immobile dans une chambre d’écho.
Je sais, monsieur le secrétaire d’État, que vous n’êtes pas le premier auteur de ce texte, et que vous avez d’ailleurs tout fait pour l’améliorer, mais vous en portez aujourd’hui la responsabilité au nom du Gouvernement.
J’ai vécu en première ligne – comme d’autres – ce phénomène qui s’est produit en Martinique et en Guadeloupe, et cela m’a persuadé d’une chose : l’heure n’est ni à la demi-mesure ni à l’exacerbation d’une logique mortifère d’abdication ou de défaite. L’heure est à la refondation : refondation de ce que l’on appelle lapidairement DOM-TOM, mais aussi refondation de l’idée que nous nous faisons de la République, de l’Europe, de leurs fonctions et de leurs rôles dans un monde aussi changeant et ouvert qu’imprévisible.
Je n’ai donc aucune intention de me contenir dans une analyse comptable de votre projet de loi. Ce serait tomber dans cet abîme de facilité au fond duquel nous nous sommes installés – je dis bien nous, Martiniquais et Guadeloupéens, mais vous aussi : nous nous contentons de traiter le plus immédiat en tournant le dos à toute perspective et à tout horizon.
Pourtant, et il faut le reconnaître, au plus haut niveau de l’État, et à celui qui est le vôtre, on a dressé un constat affligeant de la situation : « essoufflement du mode de développement antillais », « dépendance vis-à-vis des importations », « économie de comptoir », « situations de monopole »...
Le Président de la République est même allé beaucoup plus loin : le 19 février, il a évoqué « la fin d’un cycle historique ». Il parle, si je comprends bien, de la nécessité de mettre fin aux pwofitasyon, mot générique pour désigner les exploitations outrancières, les abus de positions dominantes, de puissance ou de force vis-à-vis de consommateurs affaiblis et captifs.
Pour faire face à ces mécanismes mortifères qui minent les outre-mer, qui facilitent toutes les logiques de prédation économique, votre projet de loi a résolument pris le parti du refus d’une véritable audace, celle du dépassement des codifications classiques des politiques de développement dans nos pays.
Elle emprunte, comme cela a été fait de toute éternité, la voie classique des exonérations de charges et de la défiscalisation, conceptualisées par l’État. C’est paradoxal, car cette voie est censée nous mener à une véritable autonomie économique. Mais comment peut-on parvenir à une autonomie économique sans levier d’auto-institution du développement, notamment sans véritables leviers fiscaux ?
Monsieur le secrétaire d’État, cette voie, déjà largement empruntée, n’a fait que renforcer notre dépendance, n’a fait que renforcer notre assistanat ! L’idée d’autonomie économique est généreuse, et c’est surtout de l’assumer, de l’explorer, de la comprendre qui nous permettra d’envisager enfin les voies originales et audacieuses qu’une telle ambition de développement endogène exige.
Ce n’est pas le chemin qui fait l’horizon, mais bien l’horizon qui dégage le chemin. Au-delà de l’idée, il s’agit de bâtir des résiliences, des résistances propres aux petites économies insulaires ainsi qu’au plateau amazonien, réinscrit dans le contexte sud-américain.
Nous sommes au XXIe siècle, à l’ère de la mondialisation, du capitalisme financier et de ses dérégulations les plus obscènes. Nous vivons une crise climatique qui nous impose des alternatives économiques, énergétiques et sociales fondées sur une nouvelle éthique du développement dans les domaines de l’innovation technologique et écologique, des champs inexplorés de la science du vivant et de la technologie marine et terrestre, caractérisés par la biodiversité.
Nous devons sortir de l’impasse du déséquilibre entre politique financière et politique fiscale, qui ne favorise pas la création d’emplois – vous l’avez répété à plusieurs reprises, le taux de chômage dans ces pays n’a pas considérablement évolué.
C’est un appel à un nouveau paradigme que je lance. Il s’adresse d’abord à nous, Martiniquais, Guadeloupéens, Réunionnais, Guyanais. Nous devons porter un nouveau regard sur nous-mêmes, notamment sur le mode et la nature de notre consommation et de notre production, mais aussi sur les valeurs essentielles à une société de progrès, fondée sur la solidarité et le partage équitable des richesses. Nous devons également revoir notre posture vis-à-vis de l’Europe : nos relations devraient être fondées sur nos atouts plutôt que sur nos handicaps.
Car si l’Europe nous accompagne de manière significative sur le plan financier, affirmant ainsi une politique de solidarité, elle nous contraint en matière de gouvernance interne.
L’idée d’autonomie économique que vous avez lancée et que le Premier ministre a lancée en Martinique ouvre en outre un nouveau champ des possibles, la perspective d’un recommencement fondé sur le respect et la reconnaissance mutuels entre l’hexagone et nos terres lointaines.
Il ne s’agit pas de replâtrer un projet législatif qu’une crise inattendue a rendu obsolète, mais de ne pas craindre de se donner le temps d’aller à l’essentiel. Car, pour une vraie politique, il n’y a jamais qu’une urgence : l’urgence de l’essentiel. Et c’est sur fond de cette urgence que s’élève notre demande de renvoi en commission.
Vous affichez des chiffres en guise de réponse à la crise, alors qu’il faudrait se préoccuper d’émancipation et de démocratie économique. Vous proposez des règles et des mécanismes pour contraindre les politiques fiscales, cher rapporteur, notamment la défiscalisation, quand il faudrait redessiner le paradigme même de nos économies insulaires.
Car cette crise dans les outre-mer est bien un appel à la refondation politique, au sens de l’utopie qu’Aimé Césaire a appelée de ses vœux. Nous devons la considérer non comme un brouillard de revendications sociales, mais comme le souffle impressionnant d’une recherche de sens. Nous devons faire preuve de cette clairvoyance, voire de cette solennité, seul moyen d’éviter, comme l’ont écrit les quatre évêques des départements d’outre-mer, une défaite irrémédiable qui serait en fait la défaite de l’homme.
Monsieur le secrétaire d’État, même s’il nous faut reconnaître que vous avez tout fait pour apporter des réponses financières à de nombreux problèmes posés par la crise, même si nous ne devons pas oublier que ce projet sert de « pompier législatif » dans l’attente des conclusions des états généraux, permettez-moi de n’être convaincu ni par sa portée économique ni par sa philosophie politique déficiente.
La gravité de la situation impose de sortir des sentiers battus ; or, je l’ai dit, ce n’est possible qu’à condition d’inventer un horizon nouveau. L’essentiel, donc l’urgence, c’est d’ouvrir nos sociétés à une inventivité sociale permanente : on peut difficilement parler d’autonomie économique sans parler d’autonomie sociale et politique, au sens des réseaux de dialogue, de concertation, de créativité participative, qui permettront de relever les différents défis auxquels nous sommes confrontés.
Tout a été expérimenté, sauf cette idée très simple d’une libération de la créativité par un processus de responsabilisation dans lequel les droits à égalité – pour citer l’un des entretiens que vous avez accordés à la presse, monsieur le secrétaire d’État – et les droits aux libertés trouveront pleinement à s’exprimer en termes politiques, économiques et sociaux.
Sans responsabilisation, les lois d’orientation se succèdent, se reproduisent et s’en vont. Et que nous reste-t-il ?
Ici, dans l’hexagone, une impression de mépris, de dépendance et d’assistanat, à laquelle s’ajoutent des discriminations larvées et l’ignorance quasi totale de ce que nous sommes.
Nous représentons 2,5 millions d’habitants ; 559 000 kilomètres carrés ; 10 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive, soit 97 % de la surface maritime française encore inexplorée ; 80 % de la biodiversité française et l’un des vingt-cinq « points chauds de biodiversité » du monde, ce qui confère à l’Europe et à la France une dimension planétaire essentielle.
Mais quel parti les outre-mer en tirent-ils ?
Nos pays sont victimes d’un désastre social structurel, malgré une croissance canalisée par un système de « profitation » financière mondialisée qui y trouve un terreau colonial propice.
Notre taux de chômage est très élevé 25 % à 30 % selon le Bureau international du travail.
Notre PIB moyen ne dépasse pas 15 747 euros par habitant, contre 28 721 en France.
Le taux de pauvreté atteint 20 % en Guyane et 12 % en Guadeloupe comme en Martinique, contre 6 % dans l’Hexagone.
Dans nos régions, 15 % des salaires sont équivalents au SMIC, contre 6 % en France. Mais voici le plus grave : le taux de couverture est en moyenne de 8,5 % dans les outre-mer, contre 89,9 % en France.
En outre, l’industrie et l’agriculture ne représentent que 6 % des emplois et le tourisme ne couvre que 7 % du PIB. Le taux d’activité des jeunes n’est que de 19 %, contre près de 40 % dans l’hexagone, et le taux de chômage des femmes est de cinq points plus élevé qu’en France.
Nous en arrivons à une situation inacceptable : nous ne produisons que 10 % à 15 % en moyenne de ce que nous consommons, maraîchers inclus, et, dans le secteur de la pêche, la production ne dépasse pas 30 % de notre consommation.
S’agissant du foncier, de nombreux élus l’ont indiqué hier, le cas particulier de la Guyane révèle des freins d’État inadmissibles qui empêchent les collectivités locales de disposer des terres et d’être véritablement impliquées au titre du schéma minier. Qu’elles cessent d’assister en spectatrices au pillage de leurs richesses naturelles, et qu’elles impulsent une politique énergétique, minière et écologique à la mesure du défi guyanais !
Le fait que le code minier n’ait pas été réformé depuis neuf ans malgré la législation et la délivrance par l’État d’autorisations de recherche et d’exploitation au large de Trinité, en Martinique, et au large de la Guyane constituent une provocation et témoignent d’un refus d’impliquer la Guyane et la Martinique dans une dynamique de développement. Une fois de plus, les prérogatives sont laissées aux seules mains de trusts transnationaux dont on sait qu’ils n’ont aucune éthique, voire aucune morale.
La Martinique perd mille hectares de terre agricole par an et sa réserve utile – Alfred Marie-Jeanne l’a dit hier – est passée de 60 000 hectares il y a quinze ans à 27 000 aujourd’hui. À cette allure, il n’y aura bientôt plus de terre pour l’agriculture, encore moins pour les Martiniquais.
La situation est aggravée par le problème des pesticides, notamment de l’empoisonnement des terres par le chlordécone et de ses conséquences épidémiologiques, sanitaires et économiques, aujourd’hui inconnues.
En outre, plus de 15 000 hectares en friche sont encore plus menacés. Face à cette situation inquiétante, tout le monde recule, alors qu’il aurait fallu sortir de la structure agraire coloniale, appliquer avec vigueur la loi sur les terres en friche, et prendre des mesures de salut public permettant, par exemple en Martinique, de bloquer au moins 50 000 hectares de terres agricoles pendant au moins vingt ans, sans possibilité de déclassement, afin de protéger la production locale.
On pourrait également s’interroger sur l’obscure réalité des monopoles, sur les pactes d’exclusivité qui faussent la concurrence, sur le coût du fret et du transport, sur les conditions techniques et administratives de formation des prix, qui échappent mécaniquement aux institutions locales, invalidées en permanence. Vous avez du reste saisi l’autorité de la concurrence à ce sujet.
Telles sont, monsieur le secrétaire d’État, les réalités que dissimule la prétendue autonomie économique : l’absence de gouvernance sociale, fiscale et administrative.
Avant d’évoquer ce qui choque dans votre texte, je tiens à vous dire que le Gouvernement auquel vous appartenez a été bien inspiré de soutenir les activités porteuses d’avenir, dont l’agronutrition, au titre des zones franches globales d’activité ; de créer un fond exceptionnel d’investissement pour soutenir les investissements publics de valorisation et d’aménagement ; d’accorder une priorité territoriale aux zones en difficulté ; de réintroduire une dégressivité plus attractive des exonérations de charges, afin de faciliter le recrutement de cadres ; d’appliquer les décisions de l’État sur les bas salaires.
À ce propos, j’appelle votre attention sur l’applicabilité et la convertibilité du bonus exceptionnel, essentiel si l’on veut sortir définitivement de la crise.
Venons-en à ce qui choque. Il aura malheureusement fallu cette crise pour révéler le caractère inadapté du texte, dont le titre ne mentionne plus la « promotion de l’excellence ».
Les abattements et les exonérations que vous proposez auraient dû donner lieu à des évaluations annuelles des performances des entreprises. D’ailleurs, le texte n’oblige ni n’incite à l’embauche, malgré la gravité de la situation de l’emploi.
Quant à la continuité territoriale, le retard demeure considérable, même si des actions significatives, telle la défiscalisation des câbles, vont dans le bon sens. Alors que l’on baisse le prix des voyages en avion entre l’outre-mer et la France, comment expliquer qu’il continue d’intégrer une taxe « carburant » instituée en 2003, en lien avec les événements du 11 septembre, et qui est passée en deux ans de 69 à 170 euros ? Vous devriez exiger d’Air France qu’elle modifie cette taxation dans le cadre de la négociation sur les prix que vous menez.
Ce qui choque, c’est aussi l’absence de mesures exceptionnelles destinées aux microentreprises, pourtant souhaitées par nombre de nos parlementaires. Les TPE et les activités commerciales de proximité représentent 90 % du tissu économique et constituent le premier vivier d’activité et d’emplois. Le FISAC, que vous évoquez souvent, se contente d’accompagner le dispositif d’aménagement.
Il aurait été essentiel de soutenir ces activités, d’autant que ces petites entreprises n’ont pas droit à des prestations sociales décentes, malgré des taux de cotisation exorbitants, car les caisses de retraite sont excentrées dans l’hexagone, en raison d’un décret du 30 décembre 1992 qui n’a pas autorisé l’extension du droit commun aux départements d’outre-mer.
Ce qui choque, c’est encore la discontinuité et l’absence d’évaluation et de lisibilité des politiques publiques fiscales et financières, qui ne font l’objet ni d’un bilan sérieux, ni des études d’impact prévues par la loi. Ma collègue Jeanny Marc y a fait allusion hier. L’enjeu fondamental est d’unir en une équation dynamique et féconde fiscalité, développement et responsabilité.
Il me paraît d’ailleurs essentiel – c’est un second appel – de moderniser la fiscalité outre-mer afin que les collectivités locales ne soient pas dépendantes d’une fiscalité assise sur la consommation, donc sur les importations, ce qui réduit la production locale potentielle.
Monsieur le secrétaire d’État, votre zone franche globale d’activité aurait pu être plus novatrice.
Malheureusement fondée sur le seul soutien à l’activité, elle n’est donc pas aussi globale que son nom le laisse penser. Il s’agit d’une activité sans marché, sans désenclavement, sans accès au crédit ni à l’immobilier d’entreprise, sans promotion des filières, sans encadrement des circuits de distribution, sans mobilisation de l’épargne locale pour créer un fonds d’investissement.
Cette politique de développement est incapable de faire appel à l’épargne publique pour rattraper nos retards considérables en matière d’infrastructures, qui nous privent notamment d’infrastructures touristiques dignes de ce nom ; incapable de faire, par exemple, de la ville de Saint-Pierre un projet d’intérêt national – c’est une nécessité pour le tourisme – et de la doter de l’aménagement escompté ; incapable d’ériger en priorités les domaines d’excellence de l’écologie économique ou de l’agriculture biologique ; incapable de donner à nos pays un véritable statut géopolitique de coopération en matière d’échanges économiques régionaux ; incapable de nous doter d’une position politique stratégique qui ne soit pas invalidée par une coopération digne d’une république de comptoir.
Votre texte ne traite pas de certaines questions cruciales. C'est dommage. Je veux parler de celles qui pourraient nous faire cheminer ensemble vers la recherche du sens, celles qui mettent en jeu l'identité comme dynamique d'épanouissement, celles qui ont trait à la possibilité pour nous d’inscrire notre existence dans le bassin de vie auquel nous appartenons sans pour autant nous écarter de l'ensemble français ou de l'espace européen, celles encore qui permettent, à travers le fait syndical, d’établir une vraie démocratie sociale et un vrai dialogue social en donnant une cohésion à des sociétés habitées par les traces humiliantes de la colonisation et de l'exploitation de l'homme par l'homme, celles enfin relatives au statut de la langue créole après qu’un amendement voté le 22 mai 2008 a levé l'obstacle que constituait la décision du 15 juin 1999 du Conseil Constitutionnel qui s'était opposé à la signature de la charte européenne des langues régionales.
Je sais, monsieur le secrétaire d’État, que vous m'inviterez à formuler toutes ces propositions dans le cadre des états généraux : comme si les choix économiques et financiers étaient dissociables des choix de société, donc des choix humains ! Je crains, de surcroît, que ces états généraux manquent d'énergie si cette loi, qui les précède, continue d’être si peu audacieuse et si peu pertinente.
C’est à nous d'assurer la pleine participation du peuple, tant dans l'hexagone que dans les différents pays.
S'il y a un cri auquel on ne saurait rester sourd, c'est celui de la jeunesse dont la moitié est au chômage. Je m'associe à l'appel de Huguette Bello, d'Alfred Almont et d’Alfred Marie-Jeanne et à ceux qui plaident en faveur d’une loi spécifique aux jeunes d’outre-mer. Je l'ai appelée « plan Marshall » mais elle pourrait porter le nom de l'un de ceux qui vivent leur malheur comme un vrai suicide social. Nous présenterons des amendements en ce sens.
S'il y a un dossier important, voire innovant, dans votre texte, c'est celui du logement et de l'habitat. J'ai d'ailleurs accepté, à votre demande, d'apporter ma contribution à la question de la résorption de l'habitat insalubre dans les départements d'outre-mer.
Mais la situation est grave. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 65 000 demandes non satisfaites pour 7 700 logements financés par l'État en 2007 dont seulement 2 500 HLM.
Pour ce qui est de la Martinique, il faudrait trente-neuf ans pour rattraper les retards accumulés. Dans ces conditions, toute solution et initiative allant dans le sens de l'amélioration de la situation est à saluer. Je me félicite donc de l’alignement du forfait charges, du dispositif de lutte contre la vacance et l'indivision, de la mise en place des conventions d’action foncière, les CAFO, du lissage de la fin de la défiscalisation dans le logement libre et intermédiaire, du maintien de la défiscalisation pour les primo-accédants, de la revalorisation des prix plafond, qui approchent les 2 200 euros, de l'éligibilité de la réhabilitation à la défiscalisation et de l'application du dispositif Scellier.
Pour répondre à ces besoins extrêmement importants, monsieur le secrétaire d’État, vous nous proposez une solution qui m’apparaît comme particulièrement dangereuse, délicate et incertaine. Je rappelle que 80 % des 65 000 demandes de logement relèvent du social ou du très social.
Or aucune simulation, sauf en Nouvelle-Calédonie, comme l’a relevé Huguette Belo, ne démontre la capacité de ce montage d'atteindre le montant du loyer correspondant à un logement locatif social – 5,60 euros le mètre carré – et encore moins celui d’un logement locatif très social.
L'investissement par la défiscalisation est une initiative privée. Dépendant de la volonté des uns et des autres de participer au dispositif, elle est aléatoire.
Je rappelle que le droit au logement est un droit inaliénable et imprescriptible reconnu par la loi relative au droit au logement, qui donne à l'État une responsabilité d’intérêt public majeure.
Or nous risquons d'aller progressivement vers une privatisation du financement du logement social, comme plusieurs de mes collègues l’ont rappelé. Votre engagement, monsieur le secrétaire d’État, d'assurer la constance de l'augmentation sur trois ans dépend de la longévité politique du gouvernement qui prend cette décision. Elle est donc susceptible d’être remise en cause.
La tentation de ponctionner sur la LBU pour équilibrer le financement de la politique du logement risque de remettre en cause le principe que vous avez énoncé. C’est la raison pour laquelle il faut sacraliser cette LBU, en la consacrant au financement de la politique du logement social, car la défiscalisation aboutira certainement à des loyers supérieurs à 5,60 euros par mètre carré.
Cela est d'autant plus vrai que la mise à l’index de ceux qui, grâce à la défiscalisation, se substituent à l’État pour les investissements publics, que le durcissement de votre texte sur toute une série de paramètres comme la modification des seuils d’agrément – de 4,6 millions à 1 million puis à 2 millions d’euros –, le plafonnement global des niches, qui intègre désormais le logement social, le caractère très avantageux du dispositif Scellier applicable en outre-mer ainsi que de celui applicable à l’hexagone, risquent de vous empêcher de disposer des 200 millions d’euros que vous souhaitez obtenir par la défiscalisation.
Monsieur le secrétaire d’État, permettez-moi de vous rendre sensible au risque d’une déstabilisation potentielle des politiques du logement social. Celui-ci tient d’abord à nos propres carences locales en matière de politique foncière : il est de notre responsabilité de créer des établissements publics fonciers dans les différents départements, car les politiques de construction sont devenues complexes. On ne peut plus sacrifier une dizaine d’hectares de champs de banane ou de champs de canne pour mener à bien de vastes programmes de construction de logements.
Nous sommes désormais obligés de rentrer dans la complexité du foncier et d’apporter des réponses techniques appropriées. Ce risque provient ensuite de la débudgétisation progressive du financement du logement public, au profit – je n’hésite pas à employer ce mot – d’une privatisation potentielle, une évolution qui ne dépend pas directement de la volonté du Gouvernement actuel mais qui a partie liée avec la philosophie qui est déclinée aujourd’hui.
Monsieur le secrétaire d’État, il existe un vieil adage, sans doute issu d'une vieille conception de la colonisation, selon lequel « ce qui ne rapporte pas coûte ». Cela nous renvoie à toute la campagne de dénigrement menée contre « l'outre-mer qui nous coûte cher ».
J'ai déjà évoqué tout ce que nos pays apportent à l'image de la France et à son rayonnement. Toutefois, je refuse le troc, je préfère vous proposer aujourd'hui ou demain de donner une âme aux ambitions de cette loi : une philosophie politique.
Chers collègues, les nations orgueilleuses ont, durant des millénaires, fondé leur développement sur une perception centralisée et verticale de leur unité. Mais à mesure que le monde est devenu monde, ces nations ont dû renoncer à cette verticalité pour mieux vivre la richesse des solidarités latérales et des interdépendances complexes.
L'idée de l'Europe se réalise ainsi dans la solidarité et dans l'interdépendance des nations qui la constituent, dans la solidarité et dans l'interdépendance nées de la diversité des cultures, des langues, de visions du monde qui fondent non seulement sa richesse mais le principe même de sa vitalité et de son apport indispensable au monde. L'idée de l'Europe n'est qu'une étape vers l'union globale de toutes les unions possibles. Elle n'est qu'une étape vers ce moment où la conscience-monde sera riche de toutes les nations et cultures que les hommes ont pu produire et qu'ils veulent vivre de manière transversale.
Le métabolisme planétaire n'est pas seulement constitué de grandes dynamiques naturelles, il se fonde aussi sur cette diversité étonnante qui fait l'unité humaine et sans laquelle l'espèce humaine ne saurait affronter les grands défis auxquels elle doit faire face pour sa survie même – et c’est de la survie de ces départements qu’il est question aujourd’hui. Et ce qui est vrai à l'échelle de la planète et des unions de peuples l'est à l'échelle de chacune des nations.
Reconnaître les diversités intérieures, mobiliser les différences, libérer les imaginaires et les créativités, faire chanter les langues et les cultures, respecter les dieux et les croyances, ne tolérer aucune ombre dans les histoires communes et insuffler le sens des responsabilités contre toutes les anesthésies et les apathies, voilà les fondements des nouvelles alliances et du nouveau pacte républicain dont nous avons besoin !
Voilà les valeurs sur la base desquelles la France devrait aujourd'hui repenser ses liens et ses rapports avec les pays que l'on dit d'outre-mer !
Même lorsque nous nous serons accordés sur les mesures économiques urgentes et sur les outils de fiscalité susceptibles de nourrir nos élans, il restera en effet toujours cette nécessité de penser la République nouvelle : une République qui ne craint pas sa diversité mais qui sait en faire un atout ; une République qui ne réduit pas les peuples à des populations mais qui, au contraire, les nomme, les accueille, les stimule et se stimule avec eux dans des liens de solidarité et de responsabilité ; une République qui ne demande pas à choisir entre la sujétion irresponsable ou le largage mais qui assume, dans le respect de l'autre, les solidarités et les responsabilités qui lui viennent de son histoire.
Ce sont ces liens de solidarité et de responsabilité qui donneront du sens à tous les dispositifs que nous pourrions envisager. Pour cela, il faut rompre avec ce cycle infernal des lois financières qui dessinent les contours du développement, et prendre le temps de penser autrement.
Prenons ce temps, monsieur le secrétaire d’État, et réexaminons ce projet de loi en commission.
NDLR. Combien de fois Aimé Césaire et les autres ont examiné,réexaminé avec les maîtres du domaine colonial sans que rien ne change et que tout continue. La France coloniale ne connaît qu'un langage celui de la rue et seule la mobilisation du Peuple peut appuyer le discours de l'élu.Cette permanence de l'Histoire est incontournable. Aimé Césaire a déjà tout dit aux Français dans cette AN.
Le temps du passage à l'Acte ,d'éxecution du testament Césairien est arrivé.