Simon Bolivar séjourne en France entre 1799 et 1804 où il Simon Rodriguez. En Europe et à la cour d’Espagne, il fréquente les milieux intellectuels, libéraux et franc-maçons. Lors d’un séjour en Italie avec son vieux précepteur, il fait le serment le 15 août 1805 de libérer sa terre natale du pouvoir de la métropole espagnole. Durant cette même période, il est reçu franc-maçon. Les dates de son initiation divergent, soit le 11 novembre ou le 27 décembre 1805. Des sources discordantes affirment qu’il a été initié à Cadix et reçu le grade de compagnon à la Loge Saint-Alexandre d’Ecosse le 11 novembre 1805, d’autres qu’il a été initié à Paris le 27 décembre 1805 au Rite Ecosais et élevé au grade de maître dés janvier 1806. Certaines prétendent même que c’est Miranda, également franc-maçon, qui l’a initié à la Grande Loge Américaine en 1803.
Ces sources de renseignements sont à interpréter avec précaution, mais il existe une certitude. Simon Bolivar a bien appartenu à la Franc-maçonnerie. Cette appartenance a été confirmée explicitement dans une planche intitulée « Franc-maçonnerie et socialisme » prononcée le 28 août 1971 à la Grande Loge de Colombie de Bogota, par notre regretté frère Salvador Allende. Allende précisant même que Bolivar créa une Loge appelée la « LAUTARIANE ». Cette loge connue aussi sous le nom de Lautaro, avait également pour membre Francisco Miranda, José de San Martin futur libérateur de l’Argentine et du Pérou. Il faut également souligner que les principaux généraux des guerres d’indépendance en Amérique comme Bernardo O’Higgins le libérateur du Chili étaient membres de la Franc-maçonnerie.
Comme nous pouvons le voir Simon Bolivar n’était pas le seul officier de haut rang engagé dans les guerres d’indépendance contre l’Espagne, pourtant il est celui qui symbolise le rêve PANAMARICAIN (dans sa partie méridionale évidemment).
Pourquoi ?
Simon Bolivar possédait une intelligence politique capable d’analyser les raisons de ses défaites et d’y remédier. Le 15 décembre 1812, Bolivar publie en Nouvelle-Grenade, le Manifeste de Carthagène dans lequel il demande à tous les pays hispano-américains de s’unir sous le même commandement pour accéder à l’indépendance. Il est à noter qu’à la suite de son entrée à Carracas en août 1813, le conseil de la ville le proclame Libertador le 14 octobre 1803.
En effet, en 1813 lors de leur première offensive contre les espagnols qualifiés de royalistes, les « républicains » de Bolivar ne parviennent pas à rallier la majorité de la population du vénézuéla, à savoir les 60% de Noirs ou de Mulâtres, les 18% d’indiens et la classe des petits blancs (péones). Et ce en raison du caractère oligarchique de la révolte « républicaine » qui est le fait des grandes familles Créoles vénézuéliennes plus soucieuses de chasser le pouvoir espagnol pour commercer librement que d’instaurer un nouvel ordre social plus juste. Comme Francisco Miranda avant lui, Simon Bolivar est victime de la QUESTION NOIRE habilement exploitée par les espagnols. Ces derniers, contre une promesse d’affranchissement enrôlent en masse des esclaves noirs, et de plus font appel à de redoutables cavaliers « les lianeros » qui sont des métis Noirs et indiens. Vaincu, une fois de plus, BOLIVAR s’exile et se réfugie à la Jamaïque avant de gagner Haïti le 24 décembre 1815, après avoir échappé à une tentative d’assassinat à Kingston.
Alexandre Pétion est le chef de l’ETAT Haïtien, il en est devenu le premier président après avoir chassé du pouvoir Christophe qui s’était proclamé roi dans le Nord de l’île. Entre le Blanc Créole Bolivar et le Mulâtre Petion, ce dernier détail a son importance, s’établit un lien d’amitié entre individus issu des classes sociales aisées. En effet, Petion est le fils d’un riche négociant du Bordelais et il a servi en qualité de capitaine d’artillerie dans l’armée française avant de rallier la révolution haïtienne. Comme Bolivar, il est imprégné de culture française et de l’universalisme du siècle des Lumières, en cela il se distingue de Dessalines et de Christophe, ses prédécesseurs qui privilégiaient le caractère ethnique de leur révolution et rêvaient de l’étendre aux autres pays où régnaient encore l’esclavage, d’instaurer un pouvoir noir dans la Caraïbe. Telle est la thèse défendue par Alain Yacou, professeur d’Histoire à l’Université Antilles-Guyane dans les années 1990.
Cependant, en échange d’une aide matérielle, militaire et financière Alexandre Pétion exige de Simon Bolivar l’abolition de l’esclavage dans les territoires libérés de la tutelle espagnole.
Simon Bolivar quitte Haïti le 31 mars 1816 à la tête d’une expédition et à la suite de combats victorieux sur le sol vénézuélien, il décrète l’abolition de l’esclavage le 2 juin 1816 à Capurano. Une nouvelle fois défait, Simon Bolivar trouve de nouveau fois refuge en Haïti et Alexandre Pétion lui fournit encore une aide.
Simon Bolivar change de tactique et conformément à sa volonté de créer une fédération de nations sud-américaine, il choisit d’attaquer le Vénézuéla à partir de régions éloignées. Avec l’appui de Manuel Piar, un général Mulâtre, il s’empare de la Guyane et de l’Orénoque. De 1817 à 1824, je ne vais pas entrer dans les détails, Simon Bolivar et ses alliés (les généraux Sucre, Santander ou San Martin) libèrent les Etats hispanophones de la tutelle de l’Espagne. Il crée la Grande Colombie qui englobe le Venezuela, la Colombie, l’Equateur et la Bolivie (Les pays andins ont pris ce nom en l’honneur de Bolivar).
ABORDONS LA QUESTION NOIRE :
Si Simon Bolivar a aboli dans un premier temps l’esclavage dans les pays arrachés à l’Espagne, il doit faire face aux pressions des grands propriétaires, classe sociale dont il est lui-même issu et par la suite cette abolition connaît des aménagements, voir une remise en cause. L’esclavage ne sera aboli définitivement dans les pays d’Amérique latine hispanophones qu’au milieu du 19ème siècle.
Par ailleurs, on peut se demander si Bolivar ne craignait pas le « syndrome haïtien » et l’exécution en 1817 de Manuel Piar pour haute trahison ne serait-il pas au fond un prétexte, comme le souligne Karl Marx dans son ouvrage « Bolivar Da Ponte . Car la condamnation à mort de Piar ne constituerait qu’un épisode de l’élimination des mulâtres sud-américains en tant qu’acteurs politiques majeurs de l’indépendance.
L’historien Philippe Conrad, autour d’un ouvrage paru aux PUF sur la Reconquista Espagnole, rapporte les propos de Simon bolivar qui semble confirmer implicitement la thèse marxienne:
« La plupart d’entre eux n’on d’autre mérite que la valeur brutale qui a été si utile à la République, celui d’avoir tué beaucoup d’espagnols et de s’être rendus redoutables Des nègres, des métis, des mulâtres, des blancs, des hommes de toutes classes qui, aujourd’hui, au milieu de la pais, sont des obstacles à l’ordre et à la tranquillité Mais ce fut un mal nécessaire »
Au plan de la politique Caribéenne, Simon Bolivar n’apporte pas de soutien aux patriotes cubains qui ont pris les armes en 1825 contre les Espagnols et lors du Congrès de Panama du 7 décembre 1825 en vue de fonder une République des Etats-Unis du Sud regroupant la Grande-Colombie, le Pérou et la Bolive, Haïti est mise à l’écart.
Dans ces deux derniers cas, la QUESTION NOIRE des pressions de la part des Etats-Unis d’Amérique ne sont pas à exclure dans l’ordre des conjectures, telle est l’hypothèse développée par l’auteur de cet exposé. Pour mémoire, le Président Américain James Monroe (1817-1825) a élaboré une doctrine de non intervention des Etats Européens sur le continent américain. Il a joué ainsi un rôle déterminant dans le succès définitif de l’épopée bolivarienne, car il a empêché l’envoi d’une force armée par l’Europe de la Sainte-Alliance qui voulait venir en aide à l’Espagne. James Monroe a tenté de régler à sa façon la question Noire aux Etats-Unis. Pour cela il favorisé la création de la Société de Colonisation Américaine, qui a acheté un territoire en Afrique de l’Ouest (le futur Libéria) afin d’y rapatrier les esclaves affranchis. D’ailleurs, à titre d’exemple, dans l’Etat du Maryland, les Noirs étaient affranchis à la condition d’un départ sans retour en Afrique.
Le rôle des Etats-Unis d’Amérique dans l’échec de Bolivar ?
En conséquence, les Etats-Unis d’Amérique demeuraient fidèle à leur philosophie négrophobe et à leur sentiment de supériorité raciale. Quand le Mexique et le Vénézuéla tentèrent d’envoyer une expédition à Cuba en 1825, les Etats-Unis refusèrent car la grande partie des révolutionnaires était des hommes de couleur. Ils craignaient l’influence de ce mouvement sur les populations noires du Sud des Etats-Unis. Quant à la mise à l’écart d’Haïti, les intérêts Ethno-économiques des Etats-Unis a rencontré l’esprit de revanche de la France de Charles X.
Simon Bolivar a exprimé en 1822 ses craintes quant à la vocation impérialiste des USA en ses termes sans équivoque « Il y a la tête de ce grand continent un pays très puissant, très riche, très belliqueux et capable de tout » et en 1829, il invitait l’ambassadeur nord-américain Monsieur Harisson à quitter Bogota, car ce dernier s’était ingéré dans les affaires internes du pays et pour avoir fourni de l’aide à des personnes qui conspiraient contre le pouvoir en place. Pour reprendre la thèse développée par Maxime Lefebvre dans un ouvrage publié aux PUF dans la collection Que Sais-je ? consacré à la politique internationale des Etats-Unis, les Etats-Unis auraient usé de manœuvres pour empêcher Simon Bolivar d’unifier les Etats hispanophones sur le modèle fédéral.
L’attitude de Simon bolivar vis à vis de la franc-maçonnerie :
Bolivar a bien reçu la lumière, cependant il est très critique voir cynique vis à vis de sa société de pensée comme le rapporte l’historien Philippe Conrad : « Cette vieille association, qui compte dans ses loges quelques hommes de mérite, assez de fanatiques, beaucoup de trompeurs et encore plus d’imbéciles trompés, tous ces maçons qui ressemblent à de grands enfants jouant avec des signes, des simagrées, des mots hébraïques, des rubans et des cordons »
En 1828, cette attitude critique se transforme en hostilité quand la Sociédad Filologica à laquelle appartenaient des maçons conspire contre son autorité. Le 8 novembre de la même année, il promulgue un décret interdisant sur le territoire de la République « Les associations et les confréries secrètes. ». Les loges maçonniques qui s’étaient transformées en foyers d’opposition par l’aristocratie locale attachée à ses privilèges, sont fermées.
Pouvons nous pour autant qualifier Simon Bolivar de « faux frère » ?
La réponse serait positive à la condition de nous identifier à un franc-maçon américain du 19ème siècle. Car en dépit de ses positions ambiguës sur la question noire, Bolivar est un authentique révolutionnaire car il souhaite une meilleure répartition des terres en faveur des plus humbles et il possède une vision pan-américaine, il a mis fin aux activités de l’Inquisition sur le sol sud américain en tant que survivance de l’intolérance catholique médiévale. Au Congrès de Panama, il a proposé aux nouveaux Etats de l’Amérique Méridionale : le rejet du recours à la force entre les Etats-membres de la future fédération, le refus de toute intervention européenne dans le nouveau monde, l’institution d’un code civil commun aux différents Etats concernés, l’abolition de l’esclavage, la garantie de la souveraineté populaire, l’arbitrage obligatoire en cas de conflit entre les Etats-membres, la création d’une flotte et d’une armée fédérale. Ce congrès de Panama ne conduit pas à la création d’une fédération des Etats d’Amérique Latine, à cause de divergences et notamment celles liées à la question des esclaves.
Les propositions de Simon Bolivar sont d’inspiration kantienne, la République bolivarienne est d’essence « universaliste » et non hégémonique comme le sera plus tard la fédération nord-américaine dans le bassin de la Caraïbe. Bolivar n’est certes pas un démocrate comme nous pouvons le définir en ce début du 21ème siècle. Lors du Congrès d’Agostura de 1819, il déclare à ce sujet :
« Quel est le gouvernement démocratique qui a réuni en même temps la puissance, la prospérité et la permanence ? N’a-t-on pas vu au contraire l’aristocratie ou la monarchie cimenter pour des siècles et des siècles de grands et puissants empires ? Y-a-t-il un gouvernement plus ancien que la Chine ? L’Empire Romain n’a-t-il pas conquis la terre ? La France n’a-t-elle pas quatorze siècles de monarchie ? Qu’y a-t-il de plus grand que l’Angleterre ? Cependant ces nations ont été et sont encore des aristocraties et des monarchies…Nulle forme de gouvernement n’est aussi débile que la démocratie…Ce sont les anges et non les hommes qui pourraient vivre libres, tranquilles et heureux en exerçant toute la puissance souveraine… les cris du genre humain sur les champs de bataille et dans les assemblées tumultueuses sont des témoignages élevés vers le ciel contre les législateurs inconsidérés qui ont pensé que l’on peut impunément faire des essais de constitutions chimériques…De la liberté absolue, on descend toujours au despotisme absolu. »
Cette remarque de BOLIVAR est à rapprocher de celle de Jean-Jacques ROUSSEAU :
« S’il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement. Un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes. »
Pour Simon Bolivar, la République en Amérique Latine ne peut reposer que sur un pouvoir exécutif fort et un Sénat héréditaire à la Romaine. Il n’en demeure pas moins un Républicain qui se situe aux antipodes de la mégalomanie bonapartiste. Il n’a pas voulu instaurer un pouvoir héréditaire. La République idéale de Bolivar sortait des « rêveries de Jean-jacques Rousseau » du souvenir idéalisé d’Athènes, de la Rome Républicaine et de Sparte. D’ailleurs, les Conventionnels tels Robespierre, Saint-Just partageaient une vision idéalisée pour ne pas dire fantasmée du régime de Sparte.
Simon Bolivar paraît être l’héritier des Lumières, car s’il partageait les préjugés de sa classe sociale d’origine, il a tenté de les surmonter soit par opportunisme ou sincérité (le débat reste ouvert), au nom de l’intérêt commun des nouveaux états indépendants. Enfin, sur le plan de la probité, Simon Bolivar a dilapidé la fortune familiale pour tenter de réaliser le grand rêve panaméricain et les sources consultées par l’auteur de cette présente planche, reconnaissent son honnêteté, il n’y avait pas de confusion entre les finances publiques et ses biens personnels.
Au sens maçonnique et contemporain du terme, Simon Bolivar a tenté de devenir un homme libre et de bonnes mœurs (même s’il a eu une vie sentimentale légèrement agitée), ce qui n’étaient pas le cas des maçons latinos-américains du 19ème siècle attachés à leurs privilèges matériels et leurs préjugés d’ethnoclasse. En dépit de sa personnalité ambiguë et de son « habitus de classe » Simon bolivar a essayé d’instaurer la Liberté, l’Egalité et la Fraternité en Amérique Latine entre tous les groupes humains (amérindiens, créoles, noirs). A titre personnel, il n’a pas hésité à affranchir ses esclaves, pour mémoire le frère Georges Washington premier président des Etats-Unis s’est contenté d’affranchir les siens sur son lit de mort.
L’existence de Simon Bolivar peut être comparée au pavé mosaïque d’une loge maçonnique dont les carrés noirs et blancs symbolisent la matérialité et la spiritualité : En effet, au fil des années qui se sont écoulées Simon Bolivar a progressivement cessé d’être un riche créole oisif et insouciant attaché aux avantages matériels de sa classe sociale, il a renoncé aux manifestations tapageuses de ses premiers succès militaires (il aimait volontiers revêtir de riches uniformes d’apparat pour briller auprès des aristocraties locales) à sa fortune personnelle et surtout il a refusé devenir un dictateur sanguinaire en abandonnant le pouvoir en 1830. Si nous revenons au pavé Mosaïque, Bolivar a d’abord marché sur les pavés noirs de la matérialité puis sur ceux de la spiritualité, non pas une spiritualité faite de mysticisme de pacotille mais celle qui l’a amené au renoncement des futilités terrestres pour le conduire à la réalisation inachevée de la Cité Républicaine sur Terre.
Sur le plan philosophique et idéologique Simon Bolivar est ce que la Franc-Maçonnerie américaine (latine et anglo-saxonne) a produit de mieux avec notre regretté frère Salvador Allende. Malheureusement, ces deux frères paraissent constituer des exemples isolés dans la franc-maçonnerie latino américaine qui non seulement continuent de recruter dans les classes supérieures hispaniques mais a également donné la lumière à un authentique faux frère : le Général Augusto Pinochet qui non seulement a trahi la République Chilienne mais aussi la confiance fraternelle de Salvador Allende, à la fois son frère de loge et président de la république.
Simon Bolivar ne possédait pas l’expérience militaire d’un San Martin, qui s’était illustré en Espagne contre les troupes de Bonaparte, mais il possédait une vision, un grand dessein pour l’Amérique Latine. C’est pour cette principale raison que le Libertador est devenu une référence pour une certaine Gauche Latino-Américaine symbolisée par la Social-Démocratie Radicale du président vénézuélien Hugo Chavez qui se dresse contre la « République impériale » de l’hémisphère Nord et ses séides locaux qui tentent d’empêcher ses réformes sociales. Réformes sociales qui consistent à créer des missions d’alphabétisation, de soins gratuits grâce à la présence massive d’enseignants et de médecins cubains bénévoles et à l’affectation de 20% du budget de l’Etat vénézuélien à l’Education. Il convient également de préciser que le Venezuela de Chavez semble reprendre à son compte le vieux rêve panaméricain de Bolivar, cela se manifeste dans le soutien financier et matériel aux Etats de la Caraïbe victimes de cyclones en 2004.
Par ailleurs, l’ensemble des forces de Gauche qui soutient CHAVEZ est regroupée dans la « coalition bolivarienne ».
C’est également en souvenir de Simon bolivar, que la France-Maçonnerie (la Grande Loge de Cuba) est tolérée par Fidel Castro. D’une certaine manière, Fidel Castro qui était un nationaliste de gauche avant de devenir par la force des événements extérieurs un dictateur communiste, perpétue le souvenir du Libertardor qui a influencé le grand patriote Cubain de la fin du 19ème siècle José Marti.
JAIDIT
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Ces sources de renseignements sont à interpréter avec précaution, mais il existe une certitude. Simon Bolivar a bien appartenu à la Franc-maçonnerie. Cette appartenance a été confirmée explicitement dans une planche intitulée « Franc-maçonnerie et socialisme » prononcée le 28 août 1971 à la Grande Loge de Colombie de Bogota, par notre regretté frère Salvador Allende. Allende précisant même que Bolivar créa une Loge appelée la « LAUTARIANE ». Cette loge connue aussi sous le nom de Lautaro, avait également pour membre Francisco Miranda, José de San Martin futur libérateur de l’Argentine et du Pérou. Il faut également souligner que les principaux généraux des guerres d’indépendance en Amérique comme Bernardo O’Higgins le libérateur du Chili étaient membres de la Franc-maçonnerie.
Comme nous pouvons le voir Simon Bolivar n’était pas le seul officier de haut rang engagé dans les guerres d’indépendance contre l’Espagne, pourtant il est celui qui symbolise le rêve PANAMARICAIN (dans sa partie méridionale évidemment).
Pourquoi ?
Simon Bolivar possédait une intelligence politique capable d’analyser les raisons de ses défaites et d’y remédier. Le 15 décembre 1812, Bolivar publie en Nouvelle-Grenade, le Manifeste de Carthagène dans lequel il demande à tous les pays hispano-américains de s’unir sous le même commandement pour accéder à l’indépendance. Il est à noter qu’à la suite de son entrée à Carracas en août 1813, le conseil de la ville le proclame Libertador le 14 octobre 1803.
En effet, en 1813 lors de leur première offensive contre les espagnols qualifiés de royalistes, les « républicains » de Bolivar ne parviennent pas à rallier la majorité de la population du vénézuéla, à savoir les 60% de Noirs ou de Mulâtres, les 18% d’indiens et la classe des petits blancs (péones). Et ce en raison du caractère oligarchique de la révolte « républicaine » qui est le fait des grandes familles Créoles vénézuéliennes plus soucieuses de chasser le pouvoir espagnol pour commercer librement que d’instaurer un nouvel ordre social plus juste. Comme Francisco Miranda avant lui, Simon Bolivar est victime de la QUESTION NOIRE habilement exploitée par les espagnols. Ces derniers, contre une promesse d’affranchissement enrôlent en masse des esclaves noirs, et de plus font appel à de redoutables cavaliers « les lianeros » qui sont des métis Noirs et indiens. Vaincu, une fois de plus, BOLIVAR s’exile et se réfugie à la Jamaïque avant de gagner Haïti le 24 décembre 1815, après avoir échappé à une tentative d’assassinat à Kingston.
Alexandre Pétion est le chef de l’ETAT Haïtien, il en est devenu le premier président après avoir chassé du pouvoir Christophe qui s’était proclamé roi dans le Nord de l’île. Entre le Blanc Créole Bolivar et le Mulâtre Petion, ce dernier détail a son importance, s’établit un lien d’amitié entre individus issu des classes sociales aisées. En effet, Petion est le fils d’un riche négociant du Bordelais et il a servi en qualité de capitaine d’artillerie dans l’armée française avant de rallier la révolution haïtienne. Comme Bolivar, il est imprégné de culture française et de l’universalisme du siècle des Lumières, en cela il se distingue de Dessalines et de Christophe, ses prédécesseurs qui privilégiaient le caractère ethnique de leur révolution et rêvaient de l’étendre aux autres pays où régnaient encore l’esclavage, d’instaurer un pouvoir noir dans la Caraïbe. Telle est la thèse défendue par Alain Yacou, professeur d’Histoire à l’Université Antilles-Guyane dans les années 1990.
Cependant, en échange d’une aide matérielle, militaire et financière Alexandre Pétion exige de Simon Bolivar l’abolition de l’esclavage dans les territoires libérés de la tutelle espagnole.
Simon Bolivar quitte Haïti le 31 mars 1816 à la tête d’une expédition et à la suite de combats victorieux sur le sol vénézuélien, il décrète l’abolition de l’esclavage le 2 juin 1816 à Capurano. Une nouvelle fois défait, Simon Bolivar trouve de nouveau fois refuge en Haïti et Alexandre Pétion lui fournit encore une aide.
Simon Bolivar change de tactique et conformément à sa volonté de créer une fédération de nations sud-américaine, il choisit d’attaquer le Vénézuéla à partir de régions éloignées. Avec l’appui de Manuel Piar, un général Mulâtre, il s’empare de la Guyane et de l’Orénoque. De 1817 à 1824, je ne vais pas entrer dans les détails, Simon Bolivar et ses alliés (les généraux Sucre, Santander ou San Martin) libèrent les Etats hispanophones de la tutelle de l’Espagne. Il crée la Grande Colombie qui englobe le Venezuela, la Colombie, l’Equateur et la Bolivie (Les pays andins ont pris ce nom en l’honneur de Bolivar).
ABORDONS LA QUESTION NOIRE :
Si Simon Bolivar a aboli dans un premier temps l’esclavage dans les pays arrachés à l’Espagne, il doit faire face aux pressions des grands propriétaires, classe sociale dont il est lui-même issu et par la suite cette abolition connaît des aménagements, voir une remise en cause. L’esclavage ne sera aboli définitivement dans les pays d’Amérique latine hispanophones qu’au milieu du 19ème siècle.
Par ailleurs, on peut se demander si Bolivar ne craignait pas le « syndrome haïtien » et l’exécution en 1817 de Manuel Piar pour haute trahison ne serait-il pas au fond un prétexte, comme le souligne Karl Marx dans son ouvrage « Bolivar Da Ponte . Car la condamnation à mort de Piar ne constituerait qu’un épisode de l’élimination des mulâtres sud-américains en tant qu’acteurs politiques majeurs de l’indépendance.
L’historien Philippe Conrad, autour d’un ouvrage paru aux PUF sur la Reconquista Espagnole, rapporte les propos de Simon bolivar qui semble confirmer implicitement la thèse marxienne:
« La plupart d’entre eux n’on d’autre mérite que la valeur brutale qui a été si utile à la République, celui d’avoir tué beaucoup d’espagnols et de s’être rendus redoutables Des nègres, des métis, des mulâtres, des blancs, des hommes de toutes classes qui, aujourd’hui, au milieu de la pais, sont des obstacles à l’ordre et à la tranquillité Mais ce fut un mal nécessaire »
Au plan de la politique Caribéenne, Simon Bolivar n’apporte pas de soutien aux patriotes cubains qui ont pris les armes en 1825 contre les Espagnols et lors du Congrès de Panama du 7 décembre 1825 en vue de fonder une République des Etats-Unis du Sud regroupant la Grande-Colombie, le Pérou et la Bolive, Haïti est mise à l’écart.
Dans ces deux derniers cas, la QUESTION NOIRE des pressions de la part des Etats-Unis d’Amérique ne sont pas à exclure dans l’ordre des conjectures, telle est l’hypothèse développée par l’auteur de cet exposé. Pour mémoire, le Président Américain James Monroe (1817-1825) a élaboré une doctrine de non intervention des Etats Européens sur le continent américain. Il a joué ainsi un rôle déterminant dans le succès définitif de l’épopée bolivarienne, car il a empêché l’envoi d’une force armée par l’Europe de la Sainte-Alliance qui voulait venir en aide à l’Espagne. James Monroe a tenté de régler à sa façon la question Noire aux Etats-Unis. Pour cela il favorisé la création de la Société de Colonisation Américaine, qui a acheté un territoire en Afrique de l’Ouest (le futur Libéria) afin d’y rapatrier les esclaves affranchis. D’ailleurs, à titre d’exemple, dans l’Etat du Maryland, les Noirs étaient affranchis à la condition d’un départ sans retour en Afrique.
Le rôle des Etats-Unis d’Amérique dans l’échec de Bolivar ?
En conséquence, les Etats-Unis d’Amérique demeuraient fidèle à leur philosophie négrophobe et à leur sentiment de supériorité raciale. Quand le Mexique et le Vénézuéla tentèrent d’envoyer une expédition à Cuba en 1825, les Etats-Unis refusèrent car la grande partie des révolutionnaires était des hommes de couleur. Ils craignaient l’influence de ce mouvement sur les populations noires du Sud des Etats-Unis. Quant à la mise à l’écart d’Haïti, les intérêts Ethno-économiques des Etats-Unis a rencontré l’esprit de revanche de la France de Charles X.
Simon Bolivar a exprimé en 1822 ses craintes quant à la vocation impérialiste des USA en ses termes sans équivoque « Il y a la tête de ce grand continent un pays très puissant, très riche, très belliqueux et capable de tout » et en 1829, il invitait l’ambassadeur nord-américain Monsieur Harisson à quitter Bogota, car ce dernier s’était ingéré dans les affaires internes du pays et pour avoir fourni de l’aide à des personnes qui conspiraient contre le pouvoir en place. Pour reprendre la thèse développée par Maxime Lefebvre dans un ouvrage publié aux PUF dans la collection Que Sais-je ? consacré à la politique internationale des Etats-Unis, les Etats-Unis auraient usé de manœuvres pour empêcher Simon Bolivar d’unifier les Etats hispanophones sur le modèle fédéral.
L’attitude de Simon bolivar vis à vis de la franc-maçonnerie :
Bolivar a bien reçu la lumière, cependant il est très critique voir cynique vis à vis de sa société de pensée comme le rapporte l’historien Philippe Conrad : « Cette vieille association, qui compte dans ses loges quelques hommes de mérite, assez de fanatiques, beaucoup de trompeurs et encore plus d’imbéciles trompés, tous ces maçons qui ressemblent à de grands enfants jouant avec des signes, des simagrées, des mots hébraïques, des rubans et des cordons »
En 1828, cette attitude critique se transforme en hostilité quand la Sociédad Filologica à laquelle appartenaient des maçons conspire contre son autorité. Le 8 novembre de la même année, il promulgue un décret interdisant sur le territoire de la République « Les associations et les confréries secrètes. ». Les loges maçonniques qui s’étaient transformées en foyers d’opposition par l’aristocratie locale attachée à ses privilèges, sont fermées.
Pouvons nous pour autant qualifier Simon Bolivar de « faux frère » ?
La réponse serait positive à la condition de nous identifier à un franc-maçon américain du 19ème siècle. Car en dépit de ses positions ambiguës sur la question noire, Bolivar est un authentique révolutionnaire car il souhaite une meilleure répartition des terres en faveur des plus humbles et il possède une vision pan-américaine, il a mis fin aux activités de l’Inquisition sur le sol sud américain en tant que survivance de l’intolérance catholique médiévale. Au Congrès de Panama, il a proposé aux nouveaux Etats de l’Amérique Méridionale : le rejet du recours à la force entre les Etats-membres de la future fédération, le refus de toute intervention européenne dans le nouveau monde, l’institution d’un code civil commun aux différents Etats concernés, l’abolition de l’esclavage, la garantie de la souveraineté populaire, l’arbitrage obligatoire en cas de conflit entre les Etats-membres, la création d’une flotte et d’une armée fédérale. Ce congrès de Panama ne conduit pas à la création d’une fédération des Etats d’Amérique Latine, à cause de divergences et notamment celles liées à la question des esclaves.
Les propositions de Simon Bolivar sont d’inspiration kantienne, la République bolivarienne est d’essence « universaliste » et non hégémonique comme le sera plus tard la fédération nord-américaine dans le bassin de la Caraïbe. Bolivar n’est certes pas un démocrate comme nous pouvons le définir en ce début du 21ème siècle. Lors du Congrès d’Agostura de 1819, il déclare à ce sujet :
« Quel est le gouvernement démocratique qui a réuni en même temps la puissance, la prospérité et la permanence ? N’a-t-on pas vu au contraire l’aristocratie ou la monarchie cimenter pour des siècles et des siècles de grands et puissants empires ? Y-a-t-il un gouvernement plus ancien que la Chine ? L’Empire Romain n’a-t-il pas conquis la terre ? La France n’a-t-elle pas quatorze siècles de monarchie ? Qu’y a-t-il de plus grand que l’Angleterre ? Cependant ces nations ont été et sont encore des aristocraties et des monarchies…Nulle forme de gouvernement n’est aussi débile que la démocratie…Ce sont les anges et non les hommes qui pourraient vivre libres, tranquilles et heureux en exerçant toute la puissance souveraine… les cris du genre humain sur les champs de bataille et dans les assemblées tumultueuses sont des témoignages élevés vers le ciel contre les législateurs inconsidérés qui ont pensé que l’on peut impunément faire des essais de constitutions chimériques…De la liberté absolue, on descend toujours au despotisme absolu. »
Cette remarque de BOLIVAR est à rapprocher de celle de Jean-Jacques ROUSSEAU :
« S’il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement. Un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes. »
Pour Simon Bolivar, la République en Amérique Latine ne peut reposer que sur un pouvoir exécutif fort et un Sénat héréditaire à la Romaine. Il n’en demeure pas moins un Républicain qui se situe aux antipodes de la mégalomanie bonapartiste. Il n’a pas voulu instaurer un pouvoir héréditaire. La République idéale de Bolivar sortait des « rêveries de Jean-jacques Rousseau » du souvenir idéalisé d’Athènes, de la Rome Républicaine et de Sparte. D’ailleurs, les Conventionnels tels Robespierre, Saint-Just partageaient une vision idéalisée pour ne pas dire fantasmée du régime de Sparte.
Simon Bolivar paraît être l’héritier des Lumières, car s’il partageait les préjugés de sa classe sociale d’origine, il a tenté de les surmonter soit par opportunisme ou sincérité (le débat reste ouvert), au nom de l’intérêt commun des nouveaux états indépendants. Enfin, sur le plan de la probité, Simon Bolivar a dilapidé la fortune familiale pour tenter de réaliser le grand rêve panaméricain et les sources consultées par l’auteur de cette présente planche, reconnaissent son honnêteté, il n’y avait pas de confusion entre les finances publiques et ses biens personnels.
Au sens maçonnique et contemporain du terme, Simon Bolivar a tenté de devenir un homme libre et de bonnes mœurs (même s’il a eu une vie sentimentale légèrement agitée), ce qui n’étaient pas le cas des maçons latinos-américains du 19ème siècle attachés à leurs privilèges matériels et leurs préjugés d’ethnoclasse. En dépit de sa personnalité ambiguë et de son « habitus de classe » Simon bolivar a essayé d’instaurer la Liberté, l’Egalité et la Fraternité en Amérique Latine entre tous les groupes humains (amérindiens, créoles, noirs). A titre personnel, il n’a pas hésité à affranchir ses esclaves, pour mémoire le frère Georges Washington premier président des Etats-Unis s’est contenté d’affranchir les siens sur son lit de mort.
L’existence de Simon Bolivar peut être comparée au pavé mosaïque d’une loge maçonnique dont les carrés noirs et blancs symbolisent la matérialité et la spiritualité : En effet, au fil des années qui se sont écoulées Simon Bolivar a progressivement cessé d’être un riche créole oisif et insouciant attaché aux avantages matériels de sa classe sociale, il a renoncé aux manifestations tapageuses de ses premiers succès militaires (il aimait volontiers revêtir de riches uniformes d’apparat pour briller auprès des aristocraties locales) à sa fortune personnelle et surtout il a refusé devenir un dictateur sanguinaire en abandonnant le pouvoir en 1830. Si nous revenons au pavé Mosaïque, Bolivar a d’abord marché sur les pavés noirs de la matérialité puis sur ceux de la spiritualité, non pas une spiritualité faite de mysticisme de pacotille mais celle qui l’a amené au renoncement des futilités terrestres pour le conduire à la réalisation inachevée de la Cité Républicaine sur Terre.
Sur le plan philosophique et idéologique Simon Bolivar est ce que la Franc-Maçonnerie américaine (latine et anglo-saxonne) a produit de mieux avec notre regretté frère Salvador Allende. Malheureusement, ces deux frères paraissent constituer des exemples isolés dans la franc-maçonnerie latino américaine qui non seulement continuent de recruter dans les classes supérieures hispaniques mais a également donné la lumière à un authentique faux frère : le Général Augusto Pinochet qui non seulement a trahi la République Chilienne mais aussi la confiance fraternelle de Salvador Allende, à la fois son frère de loge et président de la république.
Simon Bolivar ne possédait pas l’expérience militaire d’un San Martin, qui s’était illustré en Espagne contre les troupes de Bonaparte, mais il possédait une vision, un grand dessein pour l’Amérique Latine. C’est pour cette principale raison que le Libertador est devenu une référence pour une certaine Gauche Latino-Américaine symbolisée par la Social-Démocratie Radicale du président vénézuélien Hugo Chavez qui se dresse contre la « République impériale » de l’hémisphère Nord et ses séides locaux qui tentent d’empêcher ses réformes sociales. Réformes sociales qui consistent à créer des missions d’alphabétisation, de soins gratuits grâce à la présence massive d’enseignants et de médecins cubains bénévoles et à l’affectation de 20% du budget de l’Etat vénézuélien à l’Education. Il convient également de préciser que le Venezuela de Chavez semble reprendre à son compte le vieux rêve panaméricain de Bolivar, cela se manifeste dans le soutien financier et matériel aux Etats de la Caraïbe victimes de cyclones en 2004.
Par ailleurs, l’ensemble des forces de Gauche qui soutient CHAVEZ est regroupée dans la « coalition bolivarienne ».
C’est également en souvenir de Simon bolivar, que la France-Maçonnerie (la Grande Loge de Cuba) est tolérée par Fidel Castro. D’une certaine manière, Fidel Castro qui était un nationaliste de gauche avant de devenir par la force des événements extérieurs un dictateur communiste, perpétue le souvenir du Libertardor qui a influencé le grand patriote Cubain de la fin du 19ème siècle José Marti.
JAIDIT
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