Quand l'économie rattrape la politique,on ne doit plus s'amuser et , c'est là une réalité incontournable.
L'extension de la prime de vie chère au secteur privé annonce, paradoxalement, la suppression des "40 %" des fonctionnaires
La question de la surrémunération des fonctionnaires ultramarins vient de prendre un tour inattendu. Voici qu'un accord interprofessionnel, conclu sous l'égide et avec le concours financier des pouvoirs publics, attribue une prime de vie chère aux salariés du secteur privé.
Les 200 € concédés ne représentent qu'un peu moins de 20% du revenu d'un salarié payé au SMIC mais lorsqu'on y ajoute la baisse de 20% des articles dits de première nécessité, on n'est plus très loin, symboliquement sinon réellement, des 40%.
La dégressivité, prévue par l'accord, de la prime tout au long de l'échelle des salaires résistera difficilement aux pressions des travailleurs et aux difficultés qu'entraînera dans les entreprises le resserrement de l'éventail des salaires. Une tendance à l'uniformisation du taux de la prime pour l'ensemble des qualifications devrait se manifester, à plus ou moins brève échéance, dans le secteur privé.
Les fonctionnaires auraient tort de croire que la généralisation de la prime leur permettra de dormir tranquilles, car la suppression de celle-ci deviendra nécessairement un objectif majeur des politiques locales de développement économique.
Il suffit, pour s'en convaincre, d'examiner les trois modalités de financement de la prime accordée au secteur privé et leurs implications économiques.
Le financement par les collectivités publiques ne peut pas être pérennisé. Prendre à sa charge une partie des salaires des entreprises privées créerait, pour l'État, un dangereux précédent. Quant aux assemblées territoriales, leur contribution se traduira par une diminution de leur capacité d'investissement ou, pour le dire autrement, par le sacrifice d'équipements collectifs ou d'une partie de l'aide qu'elles apportent aux entreprises, au bénéfice de la consommation de biens importés.
Elles ont eu raison de cantonner dans le temps leur intervention. Mais leurs finances resteront obérées par la diminution des taxes sur les articles de première nécessité et par la prime allouée à leurs agents.
La remise à plat des circuits de distribution et la chasse aux rentes de toute nature, à condition qu'elles soient menées avec constance et détermination, consolideront la baisse du prix du panier de la ménagère. Pour autant, la réduction du différentiel de pouvoir d'achat de l'euro des deux côtés de l'Atlantique sera limitée par le handicap de l'éloignement et du transport mais aussi par la revalorisation des salaires.
Observons au passage que des prix plus bas à l'importation mettront en danger certains secteurs de la production locale. Conscients de ce risque, les signataires de l'accord conclu en Guadeloupe ont exclu de la liste des produits de première nécessité ceux qui viendraient concurrencer les produits locaux, mais ils ont oublié les effets de substitution : la diminution du prix de la pomme de terre ou des pâtes alimentaires peut nuire à la consommation d'ignames…
Enfin, et à l'évidence, l'augmentation des salaires grèvera la compétitivité des entreprises, tant sur le marché insulaire qu'à l'exportation. Elle pèsera non seulement sur les coûts de main-d'œuvre mais également, en raison d'un partage moins favorable de la valeur ajoutée, sur la capacité d'autofinancement des entreprises, dans un contexte de rationnement du crédit.
La situation s'aggravera à la sortie du régime transitoire, lorsque les entreprises seront invitées à supporter seules la charge de la prime. Les exonérations de cotisations sociales n'y suffiront pas.
La Martinique, la Guadeloupe et, bientôt la Guyane et La Réunion présenteront, désormais, le cas, probablement unique au monde, de pays en voie de développement dont les coûts salariaux unitaires, exprimés en monnaie internationale (l'euro), sont supérieurs à ceux des pays développés.
La solution ne pourra venir que du changement d'un modèle de consommation dont le succès du mouvement social a pourtant montré qu'il recueillait une adhésion très large. Il faut se rendre à l'évidence : le Collectif du 5 février n'a pas réclamé une amélioration du pouvoir d'achat des populations locales. Il a revendiqué et réussi à légitimer un alignement du pouvoir d'achat local sur la moyenne nationale.
Là réside le sens de la notion de prime de vie chère et là est le problème : la référence à une norme de consommation hors de portée des ressources en valeur de la production locale n'est pas soutenable dans le cadre d'un projet de développement économique endogène.
Le déséquilibre entre les dépenses de consommation finale des ménages et le produit intérieur marchand n'est pas nouveau, mais il menace d'atteindre une dimension paroxystique.
Le scénario qui s'annonce est imparable : le supplément de revenu distribué aux ménages va se déverser sur les importations tout en fragilisant l'appareil de production local, sur fond d'une récession amorcée au milieu de l'année 2008.
L'ajustement s'effectuera par des suppressions d'emplois et par l'augmentation des transferts publics sous la forme de revenus sociaux (allocations de chômage, RMI ou RSA, financement du déficit des organismes de protection sociale…).
A l'issue du processus, le revenu global des salariés relevant du secteur privé aura probablement diminué (les minimas sociaux ne compenseront pas les salaires perdus), les inégalités se seront creusées (au sein du secteur privé mais surtout entre le secteur privé et les fonctionnaires ou assimilés) et l'économie dépendra davantage des transferts publics.
Il est trop tard pour empêcher le déclenchement de la crise mais il n'est pas trop tôt pour envisager les moyens d'en sortir.
La généralisation de la prime de vie chère permet de déplacer, enfin, le débat sur sa légitimité du terrain de la défense d'un privilège catégoriel (auréolé du prestige d'une victoire historique sur le pouvoir colonial et sans coût direct pour la collectivité, puisque financé par l'Etat français) à celui de l'intérêt général.
Il est désormais possible d'expliquer au peuple martiniquais qu'il ne peut accéder au développement économique s'il n'accorde pas ses dépenses de consommation aux richesses produites par son travail.
Il est urgent de lui proposer la suppression de toutes les primes de vie chère et la mise en place, à partir des ressources ainsi dégagées (en particulier la rétrocession globalisée par l'Etat de la surrémunération des fonctionnaires), d'une politique de redistribution en faveur des catégories les plus modestes, par le biais, du développement des consommations collectives (ce sont les services produits directement ou financés par les collectivités publiques) dans les domaines, notamment, du transport, de la santé et de l'éducation.
Il paraît qu'en chinois, le mot "crise" est formé de la combinaison de deux idéogrammes, l'un signifiant "danger", l'autre, "opportunité". Le mouvement du 5 février a créé les conditions d'une révision de nos comportements, de nos méthodes, de nos valeurs.
Les prochains États Généraux sauront-ils en tirer leçon et inventer ce nouveau contrat social dont nous avons besoin ?
L'extension de la prime de vie chère au secteur privé annonce, paradoxalement, la suppression des "40 %" des fonctionnaires
La question de la surrémunération des fonctionnaires ultramarins vient de prendre un tour inattendu. Voici qu'un accord interprofessionnel, conclu sous l'égide et avec le concours financier des pouvoirs publics, attribue une prime de vie chère aux salariés du secteur privé.
Les 200 € concédés ne représentent qu'un peu moins de 20% du revenu d'un salarié payé au SMIC mais lorsqu'on y ajoute la baisse de 20% des articles dits de première nécessité, on n'est plus très loin, symboliquement sinon réellement, des 40%.
La dégressivité, prévue par l'accord, de la prime tout au long de l'échelle des salaires résistera difficilement aux pressions des travailleurs et aux difficultés qu'entraînera dans les entreprises le resserrement de l'éventail des salaires. Une tendance à l'uniformisation du taux de la prime pour l'ensemble des qualifications devrait se manifester, à plus ou moins brève échéance, dans le secteur privé.
Les fonctionnaires auraient tort de croire que la généralisation de la prime leur permettra de dormir tranquilles, car la suppression de celle-ci deviendra nécessairement un objectif majeur des politiques locales de développement économique.
Il suffit, pour s'en convaincre, d'examiner les trois modalités de financement de la prime accordée au secteur privé et leurs implications économiques.
Le financement par les collectivités publiques ne peut pas être pérennisé. Prendre à sa charge une partie des salaires des entreprises privées créerait, pour l'État, un dangereux précédent. Quant aux assemblées territoriales, leur contribution se traduira par une diminution de leur capacité d'investissement ou, pour le dire autrement, par le sacrifice d'équipements collectifs ou d'une partie de l'aide qu'elles apportent aux entreprises, au bénéfice de la consommation de biens importés.
Elles ont eu raison de cantonner dans le temps leur intervention. Mais leurs finances resteront obérées par la diminution des taxes sur les articles de première nécessité et par la prime allouée à leurs agents.
La remise à plat des circuits de distribution et la chasse aux rentes de toute nature, à condition qu'elles soient menées avec constance et détermination, consolideront la baisse du prix du panier de la ménagère. Pour autant, la réduction du différentiel de pouvoir d'achat de l'euro des deux côtés de l'Atlantique sera limitée par le handicap de l'éloignement et du transport mais aussi par la revalorisation des salaires.
Observons au passage que des prix plus bas à l'importation mettront en danger certains secteurs de la production locale. Conscients de ce risque, les signataires de l'accord conclu en Guadeloupe ont exclu de la liste des produits de première nécessité ceux qui viendraient concurrencer les produits locaux, mais ils ont oublié les effets de substitution : la diminution du prix de la pomme de terre ou des pâtes alimentaires peut nuire à la consommation d'ignames…
Enfin, et à l'évidence, l'augmentation des salaires grèvera la compétitivité des entreprises, tant sur le marché insulaire qu'à l'exportation. Elle pèsera non seulement sur les coûts de main-d'œuvre mais également, en raison d'un partage moins favorable de la valeur ajoutée, sur la capacité d'autofinancement des entreprises, dans un contexte de rationnement du crédit.
La situation s'aggravera à la sortie du régime transitoire, lorsque les entreprises seront invitées à supporter seules la charge de la prime. Les exonérations de cotisations sociales n'y suffiront pas.
La Martinique, la Guadeloupe et, bientôt la Guyane et La Réunion présenteront, désormais, le cas, probablement unique au monde, de pays en voie de développement dont les coûts salariaux unitaires, exprimés en monnaie internationale (l'euro), sont supérieurs à ceux des pays développés.
La solution ne pourra venir que du changement d'un modèle de consommation dont le succès du mouvement social a pourtant montré qu'il recueillait une adhésion très large. Il faut se rendre à l'évidence : le Collectif du 5 février n'a pas réclamé une amélioration du pouvoir d'achat des populations locales. Il a revendiqué et réussi à légitimer un alignement du pouvoir d'achat local sur la moyenne nationale.
Là réside le sens de la notion de prime de vie chère et là est le problème : la référence à une norme de consommation hors de portée des ressources en valeur de la production locale n'est pas soutenable dans le cadre d'un projet de développement économique endogène.
Le déséquilibre entre les dépenses de consommation finale des ménages et le produit intérieur marchand n'est pas nouveau, mais il menace d'atteindre une dimension paroxystique.
Le scénario qui s'annonce est imparable : le supplément de revenu distribué aux ménages va se déverser sur les importations tout en fragilisant l'appareil de production local, sur fond d'une récession amorcée au milieu de l'année 2008.
L'ajustement s'effectuera par des suppressions d'emplois et par l'augmentation des transferts publics sous la forme de revenus sociaux (allocations de chômage, RMI ou RSA, financement du déficit des organismes de protection sociale…).
A l'issue du processus, le revenu global des salariés relevant du secteur privé aura probablement diminué (les minimas sociaux ne compenseront pas les salaires perdus), les inégalités se seront creusées (au sein du secteur privé mais surtout entre le secteur privé et les fonctionnaires ou assimilés) et l'économie dépendra davantage des transferts publics.
Il est trop tard pour empêcher le déclenchement de la crise mais il n'est pas trop tôt pour envisager les moyens d'en sortir.
La généralisation de la prime de vie chère permet de déplacer, enfin, le débat sur sa légitimité du terrain de la défense d'un privilège catégoriel (auréolé du prestige d'une victoire historique sur le pouvoir colonial et sans coût direct pour la collectivité, puisque financé par l'Etat français) à celui de l'intérêt général.
Il est désormais possible d'expliquer au peuple martiniquais qu'il ne peut accéder au développement économique s'il n'accorde pas ses dépenses de consommation aux richesses produites par son travail.
Il est urgent de lui proposer la suppression de toutes les primes de vie chère et la mise en place, à partir des ressources ainsi dégagées (en particulier la rétrocession globalisée par l'Etat de la surrémunération des fonctionnaires), d'une politique de redistribution en faveur des catégories les plus modestes, par le biais, du développement des consommations collectives (ce sont les services produits directement ou financés par les collectivités publiques) dans les domaines, notamment, du transport, de la santé et de l'éducation.
Il paraît qu'en chinois, le mot "crise" est formé de la combinaison de deux idéogrammes, l'un signifiant "danger", l'autre, "opportunité". Le mouvement du 5 février a créé les conditions d'une révision de nos comportements, de nos méthodes, de nos valeurs.
Les prochains États Généraux sauront-ils en tirer leçon et inventer ce nouveau contrat social dont nous avons besoin ?