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La pensée d’Édouard de Lépine sera vivante à jamais...Mais que deviendra sa bibliothèque ?


Rédigé le Mercredi 12 Août 2020 à 09:25 |
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Qui n'a pas connu les colères foudroyantes et implosives d’Édouard de Lépine , n'a pas connu cet homme qui résumait sa longue expérience de vie par une phrase : Je suis d’abord un militant, secondairement un prof d’histoire, à l’occasion un historien amateur.


Combien d'histoires avaient été murmurées autour de sa naissance, jusqu'à se retrouver à l'age de 6 ans sur les plages de Sainte Luce refusant d'aller à l'école préférant prendre la rue comme champ d'expérimentation.

Son parrain c'était Eugène Huygues-Despointes ,qui est décédé le 14 sept 2001. Un béké déshérité pour avoir épousé une métisse de mère martiniquaise et de père chinois . Son père adoptif, un comptable d'usine à qui il avait presque fait perdre son travail, malgré le confort pour son appartenance au parti communiste. Avoir un fils communiste révolutionnaire à l'époque était l'équivalent de casser des statues en rouge vert noir aujourd'hui. Sa mère une femme formidable dont il dit n'avoir connu que la bonté. Edouard de Lépine avait une compagne aimante, une très jeune femme, sa seconde épouse qui jusqu'au dernier moment lui rendait l’existence plus douce !

Mais le concernant, sa vie militante à tout instant a été une vie pleine de rebondissement, celle d'un révolté. Dès son plus jeune âge d'une traversée politique riche, faite d'incompréhension et de coup de sang, à tous les étages. Professeur au Lycée Shoelcher, durant des décennies, il aura formaté bien des jeunes Martiniquais, à la passion révolutionnaire Cubaine, le rendez-vous se passait chez lui à l'immeuble Monplaisir à Fort de France. Pour comprendre ce que faisait Castro il avait appris à parler l'espagnol en Catalogne et il n'était pas rare qu'il parte en tirade , récitant avec conviction, des plus grands textes révolutionnaires qu'il connaissait par cœur.

Résumer la vie d’Édouard De Lépine est un exercice impossible. Chaque jour est un lot de détail qui explique les nuances du lendemain. Aussi nous avons passé presque deux ans ensemble à enregistrer des conversations multiples. Il était prévu 2 heures pour notre première rencontre , nous en avons réalisé plus de 20 heures d'émission. A ce titre je voudrais remercier un autre historien, Camille Chauvet qui m'a pris par la main et qui m'a présenté Edouard de Lépine.
Mais son oeuvre littéraire la plus déterminante à ses yeux sera selon lui, les plusieurs tomes consacrés à la vie de Césaire que Bernard Hayot a bien voulu lui financer. Les deux hommes se respectaient et il n'était pas rare que ce dernier financier de son oeuvre, se déplace au domicile de l'historien et que les deux figures échangent entre compréhension de l'histoire et mise en perspective de l'économie.

Sur le plan politique, le plus important pour Edouard De Lépine était ce qu'il appelait les écoles de forme. Il ne disait pas formation, mais école de forme pour désigner les moments que tout militant politique devait passer à apprendre l'histoire, à étudier les situations, et à en tirer les grand principes de nombreux textes. Pour lui pas de parti en dehors des écoles de formes.

Embarrassé par des problèmes de santé l'homme passait malgré tout beaucoup de temps à travailler chez lui, à écrire et à classer ses idées. Oublié parfois il bénéficiait pourtant de visites régulières, avec qui il avait plaisir à partager un repas dans un restaurant gastronomique proche de chez lui. C'est souvent lui qui invitait.

Le Parti Communiste fut sa base et formation politique première. Mais très vite il comprit qu'il lui fallait prendre un autre chemin. Suite aux événements, il est exclu du Comité Central du PCM en 1968, à cause de ses positions sur l’agression soviétique en Tchécoslovaquie et sur la question de l’Indépendance . C'est alors qu'avec des amis politiques, il avait décidé de monté le GRS. Le Groupement Révolutionnaire Socialiste, qui par son nom indiquait la quintessence de son action; à savoir un mouvement ouvrier, au service d'une révolution pour le peuple. Ce rêve il ne l'a jamais réalisé ni par lui-même dans son propre groupe politique, ni en infiltrant le PPM par exemple dont il avait pensé faire un parti révolutionnaire.
Edouard De Lépine disait à qui veut l’entendre que son projet était de faire du PPM un parti indépendantiste. Césaire semble l'avoir raisonné sur ce point et c'est finalement lui le révolutionnaire indépendantiste qui est devenu autonomiste jusqu'au dernier jour. Un autonomiste admiratif de la pensée de Césaire qui a consacré le reste des 20 dernières années sa vie à retrouver les pas du géant.

Sur ces derniers jours Edouard de Lépine poussait souvent de grosses colères contre lui même et la société. Diminué par ses moyens auditifs et incapable de prendre la route seul, il ne pouvait suivre l'actualité politique qu'au détour des médias. Il avait pourtant un avis sur tout et ramenait ses interlocuteurs à une méthode qui consistait à revenir à l'essentiel: le pourquoi et le pour qui ? L'objection de toute démarche devait avoir pour mission de faire grandir non pas le peuple, mais chaque individu.

Mais alors, que deviendra la bibliothèque d'Edouard De Lépine ?

Photo collection Raphael Séminor
Photo collection Raphael Séminor
Tous ceux qui se sont rendus une fois, chez Edouard et qui sont rentrés dans son intimité militante ont forcément découvert sa bibliothèque interminable. J'en garde personnellement un sentiment de fascination enfantine et gourmande. Il y a tant de choses à y apprendre , et combien de faits à comprendre. Les plus extraordinaires sont les documents d'époques : Livres, journaux authentiques en particulier.

Edouard avait souhaité que ses documents soient remis aux archives départementales qui sont aujourd'hui propriétés de la CTM; justement selon les déclarations d’Édouard de Lépine, je cite " une demande d’audience de sa part avait été réalisée auprès du président de l'exécutif Territorial qui n'a jamais donné suite . Il est vrai qu' Edouard souhaitait également s'entretenir avec le président sur des sujets politiques; Il parlait de compromis historique à trouver. Mais quel crédibilité pouvait-il avoir une fois qu'il était loin de tous les centres de pouvoir?

Les deux hommes ne sont pas rencontrés hélas, mais c'est aussi le sens de l'histoire. Espérons qu'il n'en sera pas de même sur le devenir de sa bibliothèque, qui espérons-le ne sera pas démantelée et restera une et indivisible.

Cet article n'est certainement pas le dernier dans lequel je vous parlerai d'Edouard de Lépine; mais pour avoir pendant presque 2 ans enregistré cet homme là, je veux vous témoigner de l'enrichissement qu'il représentait à tout détour de mot. Il m'avais appris à refuser le court pour faire du long quand c'était utile. Mais il m'avait aussi expliqué pourquoi la rigueur intellectuelle en histoire était déterminante.

A ce titre je veux une fois de plus remercier Camille Chauvet qui avait forcé le destin en me faisant rencontrer cet homme dont rien ne prévoyait qu'il soit sur mon chemin avec cette disponibilité.

Adieu Edouard ,Adieu Edouard de Lépine tu rentres dans le monde des géants mais, je me souviendrai toujours de tes colères implosives et redoutables !



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