Les conflits sociaux du début de l’année 2009 dans les quatre départements d’outre-mer ont rappelé à la communauté nationale que les DOM ne sont pas seulement des destinations touristiques plaisantes mais aussi des régions aux économies vulnérables.
Alors que l’heure est à la recherche d’un commerce mondial ouvert et juste, on doit s’interroger sur la place qu’y occupent ces départements.
Les régions françaises d’outre-mer font partie des régions ultrapériphériques de la Communauté européenne. Contrairement à d’autres comme le Groenland ou les îles anglo-normandes, elles sont restées, depuis le traité de Rome, dans l’ensemble juridique communautaire.
Les avantages associés à cette appartenance tiennent dans l’accès aux débouchés pour des produits locaux offerts par un marché européen unifié, mais aussi dans le bénéfice d’importantes contributions budgétaires de la Communauté.
Cette superposition de flux de marchandises sortants et de flux financiers entrants semble indiquer que les économies des DOM sont entrées de plain-pied dans une économie globalisée et qu’elles participent pleinement aux circuits d’échange internationaux.
A y regarder de plus près on peut en douter tant les échanges entre l’Europe continentale et les régions d’outre-mer sont asymétriques.
C’est donc davantage aux marges de l’Europe qu’au cœur du marché unique que figurent les quatre, et bientôt cinq avec Mayotte, départements d’outre-mer. Quelques traits caractéristiques majeurs expliquent ce positionnement.
Des entreprises tournées vers la demande finale
Selon les spécialistes des économies insulaires, les DOM ressemblent à une « économie de rente », c’est-à-dire à une économie dont la base productive et les unités qui la composent sont faibles. Ces systèmes se caractérisent par une croissance tirée par la demande finale, en grande partie d’origine publique.
Elle est très majoritairement composée de la consommation finale des administrations et des ménages, pour une part importante employés du secteur public ou parapublic. La vente de biens de consommation courante, souvent importés, et les services sont à l’origine d’une importante activité locale. Les consommations intermédiaires, issues des échanges entre entreprises pour des motifs de production, y sont au contraire minorées.
Cette orientation vers l’aval de l’activité explique le fort degré de tertiarisation de la structure économique des quatre DOM.
Le poids du secteur agricole y est très faible, celui de l’industrie demeure inférieur à 10% du PIB et celui des services explose à plus de 80%. On rappelle qu’en France métropolitaine l’industrie contribue à 15% de la valeur ajoutée brute, les services principalement marchands à 55% tandis que les services non marchands représentent un peu plus de 21% de la VAB.
Une productivité des facteurs atones
Malgré des aides importantes à l’investissement qui passent notamment par l’outil de la défiscalisation, la valeur du capital fixe par salarié équivalent temps plein dans les DOM représente la moitié de celle de la métropole.
Dans des économies où les gains de productivité passent par l’investissement et le capital productif, les entreprises domiennes souffrent de ce faible niveau d’équipement qui se traduit notamment par une moindre rentabilité d’exploitation. Pourtant, de forts gains de productivité du travail, évoquent une « croissance productiviste » Comment comprendre ce paradoxe apparent ?
Alors qu’en métropole l’amélioration de la productivité du travail est à mettre en relation avec des équipements plus performants et des modalités d’organisation plus efficaces, la baisse du coût global du travail est à la source de l’amélioration de la productivité dans les DOM. Bien sûr, pour les cadres et certaines professions requérant des compétences très spécifiques les primes contribuent à des rémunérations plus élevées dans les DOM qu’en métropole.
Pour les autres professions cependant, les salaires outre-mer sont relativement plus faibles. Les moindres qualifications de la main-d’œuvre locale n’expliquent pas tout.
Pour comprendre l’écart du coût de la main d’œuvre il faut revenir aux exonérations de cotisations sociales mises en œuvre à partir de la promulgation de la loi d’orientation pour l’outre-mer en 2000 qui ont considérablement réduit le coût de la main d’œuvre pour les entreprises. Justifiées du point de vue de l’équité territoriale et de l’aménagement du territoire, ces exonérations permettent à des entreprises non viables de se maintenir sur le marché et aux autres de dégager des marges de surprofit.
Des aides aux entreprises qui troublent la sélection par le marché
Les politiques publiques dérogatoires en matière de soutien aux entreprises outre-mer (exonérations de cotisations, régimes fiscaux aménagés, etc.) améliorent de façon artificielle leurs ratios de performance.
L’entreprise domienne type correspond alors à une firme faiblement dotée en capital, présentant une faible productivité du travail, mais qui, grâce aux transferts publics et aux dépenses fiscales, parvient à réduire ses coûts de production et à pratiquer des prix supérieurs à ceux observés en métropole.
Ces surcoûts, largement soulignés par les acteurs sociaux lors des conflits du début de l’année 2009, résultent à la fois de la solvabilité d’une demande locale dopée par les aides diverses attribuées et de la moindre concurrence entre les producteurs et les vendeurs qui hésitent moins à gonfler leurs marges. Cette présentation ne doit cependant pas faire oublier les difficultés rencontrées par de nombreuses unités productives, souvent de très petite taille, qui renvoient à la très forte disparité des trajectoires de croissance observées localement.
Ces disparités sont révélatrices d’une très forte segmentation des marchés domiens où cohabitent deux catégories d’entreprises. A une minorité d’entreprises de grande taille créatrices de valeur et génératrices de profit s’oppose une majorité de très petites entreprises, faiblement capitalisées, à l’origine d’une part importante des créations d’emplois (y compris l’auto-emploi), mais confrontées à des problèmes de survie. Leur capacité d’entrainement de l’économie régionale est négligeable même lorsque la croissance de l’activité est au rendez-vous.
Des économies dépendantes
Depuis une vingtaine d’années la croissance du Produit intérieur brut régional dans les quatre DOM a été plus forte mais aussi plus volatile que celle de la France entière. Ce qui a parfois été appelé un « effet rattrapage » pour illustrer la convergence des économies domiennes vers le modèle métropolitain est toutefois resté limité, en raison de la démographie notamment.
Les soutiens publics visant à rapprocher les DOM de l’économie métropolitaine ne sont pas parvenus à estomper certains écarts structurels qui attestent de leur situation d’économies de rente administrative.
Elle résulte en grande partie des contraintes exercées par le principe de libre circulation des biens appliqué par et dans l’UE.
En effet, au plan commercial, le principe de liberté de circulation fait que les produits des DOM sont diffusés sur le territoire communautaire auquel ces départements appartiennent (la réciproque n’est pas vraie dans la mesure où les DOM ont été autorisés à appliquer l’octroi de mer, taxe qui frappe certains produits importés risquant de concurrencer les industries locales).
Toutefois, ils sont en même temps soumis aux règles qu’impose l’Union pour aider les échanges avec les pays signataires de la convention de Lomé (franchises d’entrée, protocole pour le rhum et la banane, etc.) dont la compétitivité prix, résultant de coûts de production moindres, les met en position avantageuse au regard des produits semblables proposés par l’outre-mer français.
Texte de Nadine LEVRATTO
Chargée de recherche au CNRS,
Membre du laboratoire EconomiX, Université de Paris ouest Nanterre
Alors que l’heure est à la recherche d’un commerce mondial ouvert et juste, on doit s’interroger sur la place qu’y occupent ces départements.
Les régions françaises d’outre-mer font partie des régions ultrapériphériques de la Communauté européenne. Contrairement à d’autres comme le Groenland ou les îles anglo-normandes, elles sont restées, depuis le traité de Rome, dans l’ensemble juridique communautaire.
Les avantages associés à cette appartenance tiennent dans l’accès aux débouchés pour des produits locaux offerts par un marché européen unifié, mais aussi dans le bénéfice d’importantes contributions budgétaires de la Communauté.
Cette superposition de flux de marchandises sortants et de flux financiers entrants semble indiquer que les économies des DOM sont entrées de plain-pied dans une économie globalisée et qu’elles participent pleinement aux circuits d’échange internationaux.
A y regarder de plus près on peut en douter tant les échanges entre l’Europe continentale et les régions d’outre-mer sont asymétriques.
C’est donc davantage aux marges de l’Europe qu’au cœur du marché unique que figurent les quatre, et bientôt cinq avec Mayotte, départements d’outre-mer. Quelques traits caractéristiques majeurs expliquent ce positionnement.
Des entreprises tournées vers la demande finale
Selon les spécialistes des économies insulaires, les DOM ressemblent à une « économie de rente », c’est-à-dire à une économie dont la base productive et les unités qui la composent sont faibles. Ces systèmes se caractérisent par une croissance tirée par la demande finale, en grande partie d’origine publique.
Elle est très majoritairement composée de la consommation finale des administrations et des ménages, pour une part importante employés du secteur public ou parapublic. La vente de biens de consommation courante, souvent importés, et les services sont à l’origine d’une importante activité locale. Les consommations intermédiaires, issues des échanges entre entreprises pour des motifs de production, y sont au contraire minorées.
Cette orientation vers l’aval de l’activité explique le fort degré de tertiarisation de la structure économique des quatre DOM.
Le poids du secteur agricole y est très faible, celui de l’industrie demeure inférieur à 10% du PIB et celui des services explose à plus de 80%. On rappelle qu’en France métropolitaine l’industrie contribue à 15% de la valeur ajoutée brute, les services principalement marchands à 55% tandis que les services non marchands représentent un peu plus de 21% de la VAB.
Une productivité des facteurs atones
Malgré des aides importantes à l’investissement qui passent notamment par l’outil de la défiscalisation, la valeur du capital fixe par salarié équivalent temps plein dans les DOM représente la moitié de celle de la métropole.
Dans des économies où les gains de productivité passent par l’investissement et le capital productif, les entreprises domiennes souffrent de ce faible niveau d’équipement qui se traduit notamment par une moindre rentabilité d’exploitation. Pourtant, de forts gains de productivité du travail, évoquent une « croissance productiviste » Comment comprendre ce paradoxe apparent ?
Alors qu’en métropole l’amélioration de la productivité du travail est à mettre en relation avec des équipements plus performants et des modalités d’organisation plus efficaces, la baisse du coût global du travail est à la source de l’amélioration de la productivité dans les DOM. Bien sûr, pour les cadres et certaines professions requérant des compétences très spécifiques les primes contribuent à des rémunérations plus élevées dans les DOM qu’en métropole.
Pour les autres professions cependant, les salaires outre-mer sont relativement plus faibles. Les moindres qualifications de la main-d’œuvre locale n’expliquent pas tout.
Pour comprendre l’écart du coût de la main d’œuvre il faut revenir aux exonérations de cotisations sociales mises en œuvre à partir de la promulgation de la loi d’orientation pour l’outre-mer en 2000 qui ont considérablement réduit le coût de la main d’œuvre pour les entreprises. Justifiées du point de vue de l’équité territoriale et de l’aménagement du territoire, ces exonérations permettent à des entreprises non viables de se maintenir sur le marché et aux autres de dégager des marges de surprofit.
Des aides aux entreprises qui troublent la sélection par le marché
Les politiques publiques dérogatoires en matière de soutien aux entreprises outre-mer (exonérations de cotisations, régimes fiscaux aménagés, etc.) améliorent de façon artificielle leurs ratios de performance.
L’entreprise domienne type correspond alors à une firme faiblement dotée en capital, présentant une faible productivité du travail, mais qui, grâce aux transferts publics et aux dépenses fiscales, parvient à réduire ses coûts de production et à pratiquer des prix supérieurs à ceux observés en métropole.
Ces surcoûts, largement soulignés par les acteurs sociaux lors des conflits du début de l’année 2009, résultent à la fois de la solvabilité d’une demande locale dopée par les aides diverses attribuées et de la moindre concurrence entre les producteurs et les vendeurs qui hésitent moins à gonfler leurs marges. Cette présentation ne doit cependant pas faire oublier les difficultés rencontrées par de nombreuses unités productives, souvent de très petite taille, qui renvoient à la très forte disparité des trajectoires de croissance observées localement.
Ces disparités sont révélatrices d’une très forte segmentation des marchés domiens où cohabitent deux catégories d’entreprises. A une minorité d’entreprises de grande taille créatrices de valeur et génératrices de profit s’oppose une majorité de très petites entreprises, faiblement capitalisées, à l’origine d’une part importante des créations d’emplois (y compris l’auto-emploi), mais confrontées à des problèmes de survie. Leur capacité d’entrainement de l’économie régionale est négligeable même lorsque la croissance de l’activité est au rendez-vous.
Des économies dépendantes
Depuis une vingtaine d’années la croissance du Produit intérieur brut régional dans les quatre DOM a été plus forte mais aussi plus volatile que celle de la France entière. Ce qui a parfois été appelé un « effet rattrapage » pour illustrer la convergence des économies domiennes vers le modèle métropolitain est toutefois resté limité, en raison de la démographie notamment.
Les soutiens publics visant à rapprocher les DOM de l’économie métropolitaine ne sont pas parvenus à estomper certains écarts structurels qui attestent de leur situation d’économies de rente administrative.
Elle résulte en grande partie des contraintes exercées par le principe de libre circulation des biens appliqué par et dans l’UE.
En effet, au plan commercial, le principe de liberté de circulation fait que les produits des DOM sont diffusés sur le territoire communautaire auquel ces départements appartiennent (la réciproque n’est pas vraie dans la mesure où les DOM ont été autorisés à appliquer l’octroi de mer, taxe qui frappe certains produits importés risquant de concurrencer les industries locales).
Toutefois, ils sont en même temps soumis aux règles qu’impose l’Union pour aider les échanges avec les pays signataires de la convention de Lomé (franchises d’entrée, protocole pour le rhum et la banane, etc.) dont la compétitivité prix, résultant de coûts de production moindres, les met en position avantageuse au regard des produits semblables proposés par l’outre-mer français.
Texte de Nadine LEVRATTO
Chargée de recherche au CNRS,
Membre du laboratoire EconomiX, Université de Paris ouest Nanterre