LA REVOLUTION BOLIVARIENNE AUX ANTILLES Par Fidel CASTRO


Rédigé le Lundi 12 Avril 2010 à 04:03 |

Source le Grand Soir: À l’école, l’histoire me plaisait, comme elle plaît à quasiment tous les jeunes garçons. Mais aussi les guerres, selon la culture que la société inculquait aux enfants de sexe masculin – tous les jouets qu’on nous offrait étaient des armes


Quand j’étais enfant, on m’envoya dans une ville où on ne m’amena jamais à un cinéma. La télévision n’existait pas encore, et là où je vivais, il n’y avait pas de radio. Je devais recourir à mon imagination.

Au premier collège où l’on m’inscrivit comme interne, je lis avec étonnement les histoires du déluge universel et de l’arche de Noé. Je finis par penser plus tard que c’était peut-être là un des vestiges que l’Humanité conservait des derniers changements climatiques survenus dans l’histoire de notre espèce. C’est peut-être à la fin de la dernière période glaciaire qui s’est déroulée, présume-t-on, voilà bien des milliers d’années.

Plus tard, on peut le supposer, je lis avec avidité les vies d’Alexandre, de César, d’Annibal, de Bonaparte et, bien entendu, tous les livres qui tombaient entre mes mains sur Maceo, Gómez, Agramonte et les autres grands soldats qui luttèrent pour notre indépendance. Je n’avais pas encore assez de culture pour comprendre ce que cachait l’Histoire.

Mon intérêt se centra ensuite sur Martí. C’est à lui que je dois en fait mes sentiments patriotiques et ce profond concept : « La patrie est l’humanité. » L’audace, la beauté, le courage et la moralité de sa pensée m’aidèrent à me convertir en ce que je crois être : un révolutionnaire. Sans être martinien, on ne peut être bolivarien ; sans être martinien et bolivarien, on ne peut être marxiste ; sans être martinien, bolivarien et marxiste, on ne peut être anti-impérialiste ; sans être ces trois choses, on ne pouvait concevoir une révolution à Cuba à notre époque.

Voilà presque deux siècles, dans les années 1820, Bolívar voulut dépêcher une expédition aux ordres de Sucre pour libérer Cuba qui en avait bien besoin en tant que colonie sucrière et caféière espagnole où trois cent mille esclaves travaillaient pour leurs maîtres blancs.

Une fois que Cuba vit frustrer son indépendance en devenant une néo-colonie, elle ne pouvait en aucun cas instaurer la dignité pleine de l’homme sans une révolution qui en finisse avec l’exploitation de l’homme par l’homme.

« …je veux que la première loi de notre République soit le culte des Cubains à la dignité pleine de l’homme. »

Par cette pensée, Martí infusa le courage et les convictions qui poussèrent notre Mouvement à l’assaut de la caserne Moncada, ce qui ne nous serait jamais venu à l’esprit sans les idées d’autres grands penseurs comme Marx et Lénine qui nous firent voir et comprendre les réalités si différentes de la nouvelle époque que nous vivions.

C’est au nom du progrès et du développement que l’on justifia à Cuba des siècles durant l’odieuse propriété latifundiaire et la force de travail servile, précédées par l’extermination des premiers habitants de ces îles.

Martí a dit quelque chose de merveilleux de Bolívar et digne de sa vie glorieuse :

« …ce qu’il n’a pas fait n’a toujours pas été fait à ce jour : Bolívar a encore beaucoup à faire en Amérique. »

« Que le Venezuela me donne en quoi le servir : il a en moi un fils. »

Au Venezuela, la puissance coloniale – comme d’autres le firent dans les Antilles – sema de la canne à sucre, du café, du cacao, et fit aussi venir à titre d’esclaves des hommes et des femmes d’Afrique. Résistant héroïquement en s’appuyant sur la nature du sol vénézuélien et sur l’étendue du territoire, les habitants originaires évitèrent l’anéantissement.

À l’exception d’une partie au Nord du continent, l’immense territoire de Notre Amérique resta aux mains des deux rois de la péninsule ibérique.

On peut affirmer sans crainte que, des siècles durant, nos pays et les fruits du travail de leurs peuples furent mis à sac et qu’ils continuent de l’être de la part des grandes sociétés transnationales et des oligarchies à leur service.

Rien ne changea pour l’essentiel durant les XIXe et XXe siècles, autrement dit pendant presque deux cents ans après l’indépendance formelle de l’Amérique ibérique. Les États-Unis, à partir des treize colonies anglaises qui se soulevèrent, s’étendirent vers l’Ouest et vers le Sud. Ils achetèrent la Louisiane et la Floride, arrachèrent au Mexique plus de la moitié de son territoire, intervinrent en Amérique centrale et s’emparèrent de l’espace où serait construit ensuite le canal de Panama qui unirait les deux grands océans à l’est et à l’ouest du continent, juste là où Bolívar avait souhaité fonder la capitale de plus grande des Républiques qui naîtrait de l’indépendance des nations d’Amérique.

À cette époque, le pétrole et l’éthanol ne se vendaient pas dans le monde, l’OMC n’existait pas. La canne à sucre, le coton et le maïs étaient cultivés par les esclaves. Les machines n’avaient pas encore été inventées. C’est à partir du charbon que l’industrialisation progressait en force.

Si les guerres impulsèrent la civilisation, la civilisation impulsa les guerres. Qui changèrent de caractère et se firent plus terribles, pour se convertir finalement en conflits mondiaux. Nous étions enfin un monde civilisé. Nous le croyions même pour une question de principes.

Mais nous ne savons que faire de cette civilisation-là. D’une part, l’être humain s’est doté d’armes nucléaires d’une précision inconcevable et d’une puissance annihilatrice, de l’autre, il a reculé d’une manière honteuse des points de vue moral et politique. Politiquement et socialement parlant, nous sommes plus sous-développés que jamais. Les automates se substituent aux soldats, les médias aux éducateurs, tandis que les gouvernements commencent à être dépassés par les événements sans savoir quoi faire. À en juger par le désespoir de nombreux dirigeants politiques internationaux, on constate leur impuissance devant les problèmes qui s’accumulent sur leurs bureaux de travail et dans les réunions internationales de plus en plus fréquentes.

C’est dans ces circonstances qu’une catastrophe sans précédent est survenue en Haïti, tandis qu’à l’autre bout de la planète, au milieu de la crise économique et de conflits croissants, continuent de se dérouler trois guerres et une course aux armements qui engloutit plus de 2,5 p. 100 du PIB mondial, ce qui suffirait au développement, en peu de temps, de tous les pays du Tiers-monde et éviterait peut-être les changements climatiques, si on y consacrait les ressources économiques et scientifiques indispensables à ces fins.

La crédibilité de la communauté mondiale vient de recevoir un coup dur à Copenhague, et notre espèce ne fait pas la preuve de sa capacité à survivre.

La tragédie d’Haïti me donne l’occasion d’exposer ce point de vue à partir que ce que le Venezuela a fait avec les pays caribéens. Alors que les grandes institutions financières hésitent à Montréal sur ce qu’il faut faire en Haïti, le Venezuela n’hésite pas une minute à annuler la dette économique de ce pays qui se monte 167 millions de dollars.

Pendant presque un siècle, les plus importantes transnationales ont soutiré et exporté le pétrole vénézuélien à des prix dérisoires. Le Venezuela devint pendant des décennies le plus gros exportateur de pétrole au monde.

L’on sait que, lorsque les USA dépensèrent des centaines de milliards de dollars dans leur guerre génocidaire contre le Vietnam, tuant et mutilant des millions de fils de ce peuple héroïque, ils rompirent aussi, d’une manière unilatérale, l’accord de Bretton Woods qui stipulait la conversion du dollar par rapport à l’or, et ils firent payer à l’économie mondiale le coût de cette sale guerre. La monnaie étasunienne se dévalua, si bien que les recettes en devises des pays caribéens ne leur permettaient plus de payer le pétrole. Leurs économies reposent sur le tourisme et sur les exportations de sucre, de café, de cacao et d’autres produits agricoles. Un coup dévastateur menaçait les économies des États caribéens, exception faite de deux d’entre eux qui sont exportateurs d’énergie.

D’autres pays développés éliminèrent les préférences tarifaires dont bénéficiaient les exportations agricoles des Caraïbes, telle la banane. Le Venezuela eut alors un geste sans précédent : garantir à la plupart de ces pays des livraisons de pétrole sûres et des facilités de paiement spéciales.

Aucun autre pays ne s’était inquiété du sort de ces peuples. N’était la République bolivarienne du Venezuela, une terrible crise aurait frappé les États indépendants des Caraïbes, hormis Trinité-et-Tobago et la Barbade.

En ce qui concerne Cuba, après l’effondrement de l’URSS, le gouvernement bolivarien donna une impulsion extraordinaire au commerce entre nos deux pays, dont des échanges de biens et services, ce qui nous permit de faire face à l’une des périodes les plus dures de notre glorieuse histoire révolutionnaire.

Curieusement, l’un des meilleurs alliés des USA, mais aussi le plus bas et le plus vil ennemi du peuple, avait été, dès le triomphe de la Révolution cubaine en 1959, le président du Venezuela, Rómulo Betancourt, un charlatan et un simulateur, qui fut le principal complice des attaques pirates, des actes terroristes, des agressions et du blocus économique contre notre patrie.

C’est justement quand Notre Amérique en avait le plus besoin que la Révolution bolivarienne éclata finalement au Venezuela.

Les membres de l’Alliance bolivarienne des peuples de Notre Amérique (ALBA), réunis à Caracas à l’invitation d’Hugo Chávez, se sont engagés à prêter le maximum d’appui, au moment le plus triste de son histoire, au peuple haïtien, qui a réalisé la première Révolution sociale victorieuse dans l’histoire du monde, quand des centaines de milliers d’Africains se soulevèrent et créèrent une République à des milliers de kilomètres de leurs terres natales, ce qui constitue l’une des actions révolutionnaires les plus glorieuses de ce continent-ci. En Haïti, il y a du sang noir, aborigène et blanc ; la République y est née des concepts d’équité, de justice et de liberté pour tous les êtres humains.

Voilà maintenant dix ans, alors que le cyclone Mitch avait fait des dizaines de milliers de victimes dans les Caraïbes et en Amérique centrale, Cuba créa l’École latino-américaine de médecine (ELAM) pour former les médecins latino-américains et caribéens qui sauveraient un jour des millions de vies, mais qui serviraient avant tout d’exemples dans le noble exercice de la profession médicale.

Voilà pourquoi des dizaines de jeunes du Venezuela et d’autres pays latino-américains diplômés de l’ELAM se retrouveront en Haïti aux côtés des Cubains, car beaucoup nous ont fait savoir de tous les recoins du continent leur désir de collaborer à la noble tâche de sauver des vies d’enfants, de femmes et d’hommes, de jeunes et de personnes âgées. Il y aura des dizaines d’hôpitaux de campagne, des centres de physiothérapie et des hôpitaux où prêteront service plus de mille médecins et étudiants des dernières années de médecine, provenant d’Haïti, du Venezuela, de Saint-Domingue, de la Bolivie, du Nicaragua, de l’Équateur, du Brésil, du Chili et des autres pays frères. Nous avons même l’honneur de pouvoir compter sur des médecins étasuniens eux aussi diplômés de l’ELAM. Nous sommes prêts à coopérer avec les pays et les institutions qui souhaiteraient participer à ces efforts visant à prêter des services médicaux en Haïti.

Le Venezuela a déjà fourni des tentes, des équipements médicaux, des médicaments et des aliments. Le gouvernement haïtien offre toute sa coopération et tout son soutien à cet effort qui vise à apporter des services de santé gratuits au plus grand nombre possible d’Haïtiens, pour lesquels ce sera une consolation au milieu de la pire tragédie survenue sur notre continent.

Fidel Castro Ruz
Le 7 février 2010


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