L’EPOQUE DE HUGO CHAVEZ : LE SEUIL DU TROISIEME AGE DU BOLIVARISME Par par Paul Estrade


Rédigé le Mardi 5 Mars 2013 à 23:40 |

Rédaction du Naïf :On manque, de toute évidence, du recul nécessaire pour dire si le bolivarisme vient d’entrer dans une nouvelle époque de son deuxième âge, la quatrième, selon notre esquisse de périodisation ; ou bien si on assiste au début de son troisième âge, à la première époque de son troisième âge, l’âge de sa maturité.C'est surtout Hugo Chávez, président du Venezuela de 1999 à 2013, qui reprend les idées du "Libertador" et prône le néo-bolivarisme. Même si Chávez a également été influencé par les écrits de l'historien marxiste Federico Brito Figueroa, on peut retrouver les principaux traits du courant initial dans sa politique : une volonté d'indépendance plus grande vis-à-vis des puissances dominantes (des États-Unis en l'occurrence), mais aussi, comme Bolivar, des tentatives d'unification ou de rapprochement des ex-colonies lorsqu'il tente d'organiser les principales organisations régionales sud américaines. C'est sa volonté d'apparaître comme le rassembleur des peuples dominés d'Amérique Latine qui le rapproche d'un "nouveau Bolivar". Mais cette "appropriation" comme seul défenseur des idées de Simon Bolivar, est l'objet de contestations en Amérique Latine.


La logique voudrait que l’on fît partir cette nouvelle époque de la date d’adoption, par le peuple vénézuélien, de la Constitution bolivarienne, soit du 15 décembre 1999. Pour la première fois, en effet, et à une majorité sans appel (86 %), un peuple d’Amérique latine a ratifié un projet bolivarien explicite. Ce jour-là a pris fin le mythe du divorce, tant de fois souligné, entre leLibertador aristocratique et son peuple ballotté. Ce jour-là, avec un niveau de conscience difficile à apprécier, mais avec enthousiasme, la masse des exclus a adhéré aux idéaux d’indépendance nationale et d’union continentale, inséparables dans la pensée de Simón Bolívar.

Ce processus constituant n’a été pourtant qu’un moment de la Révolution bolivarienne. Et celle-ci n’est que l’aboutissement du processus d’intervention du peuple vénézuélien dans son destin national. Un processus entrepris de façon explosive en 1989, une année qui ne se résume pas à la seule démolition d’un mur de béton. En dépit des obstacles, la Révolution bolivarienne a accompli démocratiquement en dix ans des transformations inégalées dans les domaines de l’éducation et de la santé, dans le développement des communautés indigènes et dans le contrôle et la redistribution des richesses du pays.

En décembre 2001 le président Hugo Chávez a proposé aux voisins du Venezuela un nouveau type de relations, en dehors des cadres institutionnels existants et des liens étouffants du néolibéralisme. Cette politique extérieure, nourrie et pas seulement recouverte de bolivarisme, a conduit, en deux temps, à la création de l’ALBA. À l’Alternative bolivarienne pour les Amériques, constituée en 2004, a succédé, en juin 2009, l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique. Le bolivarisme est ainsi en train de se muer en bolivarianisme. La logique veut donc que nous fassions partir l’époque présente du bolivarisme du jour de la signature de l’acte constitutif de l’ALBA par le Venezuela et Cuba, soit du 15 décembre 2004.

Depuis cette date, l’Alliance s’est élargie à la Bolivie, à l’Équateur, au Nicaragua, au Honduras (jusqu’au coup d’État) et à trois petits États anglophones des Caraïbes. Une monnaie commune (le SUCRE), utilisable pour les échanges commerciaux internes à cette zone, est en train d’être mise en place. L’ALBA se substitue partiellement à l’ALCA (la Zone de libre-échange des Amériques) voulue par Washington, mais qui a été enterrée en 2005 au Sommet des Amériques de Mar del Plata (Argentine). Elle tourne le dos au panaméricanisme. Dépassant les limites de l’ALBA, des initiatives à géométrie variable, mais d’esprit bolivarien (Telesur, Bancosur, Petrosur, Petrocaribe) fonctionnent ou sont en cours d’installation

La création, en 2008, de l’UNASUR (Union des nations sud-américaines) puis, en 2010, lors du Sommet de Cancun, d’une Communauté appelée à regrouper tous les Etats d’Amérique Latine et des Caraïbes ( mais sans les Etats-Unis), sont les deux dernières initiatives en date, prises dans un sens pleinement bolivarien, d’union politique et d’intégration économique à terme.

A l’époque du Che et de Fidel (que je n’enterre aucunement), seule la Révolution cubaine défendait un bolivarisme effectif. Depuis quelques années maintenant, à côté de Fidel et de Raúl Castro, son continuateur, se trouvent les présidents élus et réélus du Venezuela, de la Bolivie, de l’Équateur, du Nicaragua : Hugo Chávez, Evo Morales, Rafael Correa, Daniel Ortega. Un tel groupe de pays, de peuples et de personnalités historiques oblige le simple observateur des changements significatifs en cours, à en enregistrer l’existence, qu’elle plaise ou non.

Il reste de bon ton, chez certains observateurs, de douter des chances, voire de l’existence de l’Amérique latine. Ne peut-on, au contraire, estimer qu’en ayant renoué avec le bolivarisme, devenu l’affaire de tous, l’Amérique latine en mutation, grâce aux voies qu’elle explore, est plus elle-même et plus utile au monde que jamais ? Signe des temps : sous l’impulsion de Chávez, elle pourrait même changer de nom pour prendre celui de Suramérica. Prémices d’un nouvel âge ? A coup sûr, dans la mesure où ce serait alors le Sud qui indiquerait le nord !

Paul Estrade Professeur émérite de l’université Paris 8?
 


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