Livie PIERRE-CHARLES pose une question : « Comment comprendre, comment expliquer que des peuples (antillais, réunionnais, guyanais) naguère néantisés, humiliés, écrasés, infériorisés, loin de rejeter leur tortionnaire, aient revendiqué de lui ressembler, d’être son égal, avec une telle insistance, une telle opiniâtreté ? »
Elle propose une réponse qui se fonde en partie sur la lecture d’un livre : "Histoire de l’assimilation. Des « vieilles colonies » françaises aux départements d’outre-mer. La culture politique de l’assimilation en Guyane et aux Antilles françaises (XIXe et XXe siècles)", 2006.
Il suffit de lire attentivement le titre complet de cet ouvrage pour s’apercevoir immédiatement, ce qui saute aux yeux, que l’auteur limite son exposé aux XIXe et XXe siècles.
Pour lui, l’histoire de l’assimilation coloniale débute en France, après la Restauration, dans les années 1815-1820 :« Les signes avant-coureurs de la culture politique de l’assimilation apparaissent, dans les colonies des Antilles et de la Guyane françaises, lors de la lutte engagée par les ‘gens de couleur libres’ notamment sous la Restauration (1815-1830) » (p. 15).
S’étant volontairement limité à de telles origines, l’auteur semble ignorer ou ne veut pas nous dire – alors pourquoi le cacher ? – que le concept d’assimilation appliqué aux colonies françaises apparaît en 1795, dans le célèbre discours du conventionnel François Antoine BOISSY d’ANGLAS.
L’histoire de l’assimilation est étroitement associée, dès le XVIIe siècle, à la colonisation française et aux revendications des colons. Mais en 1795, la théorie est fixée, généralisée après la première abolition de l’esclavage en février 1794, et surtout, en pleine période de rébellion et de guerre coloniale à Saint-Domingue.
Le grand soulèvement des Nègres esclaves de la plaine du Nord de la colonie française de Saint-Domingue a inauguré, en août 1791, un processus de destruction du système colonial et du système esclavagiste.
La Guadeloupe et la Martinique sont alors deux colonies, l’une française et l’autre anglaise, susceptibles de rompre avec la puissance de tutelle. C’est la raison pour laquelle le député de la Convention élabore son concept d’assimilation, qui va déterminer les fondements de la politique coloniale française jusqu’en 1946.
Dans son "Rapport et projet d’articles constitutionnels relatifs aux colonies, présentés à la Convention Nationale au nom de la Commission des Onze dans la séance du 17 thermidor an III" (4 août 1795), BOISSY d’ANGLAS avait notamment précisé : « Rattachons les colonies à nous, par un gouvernement sage et ferme, par les liens d’un intérêt commun, par l’attrait puissant de la liberté. Que les colonies soient toujours françaises, au lieu d’être seulement américaines ; qu’elles soient libres, sans être indépendantes ; qu’elles fassent partie de notre république indivisible et qu’elles soient surveillées et régies par les mêmes lois et le même gouvernement ; que leurs députés, appelés dans cette enceinte, y soient confondus avec ceux du peuple entier qu’ils seront chargés de représenter ; qu’ils y délibèrent sur tous les intérêts de leur commune patrie, inséparables des leurs. Au lieu des assemblées coloniales, dont la liberté pourrait s’alarmer, et dont l’autorité nationale pourrait redouter l’influence, nous vous proposerons de diviser les colonies en différents départements. »
Une fois qu’on a compris clairement la volonté, le souci de la puissance coloniale d’empêcher toute velléité d’indépendance des territoires qu’elle occupe, on comprendra mieux la mystification qui en découle.
D’une part, répétons-le, la puissance coloniale, la France en l’occurrence, impose à ses territoires dépendants, sa politique d’assimilation – au sens de BOISSY d’ANGLAS ; d’autre part, les colonisés, piégés dans la nasse d’une telle politique, sont mis à contribution pour solliciter, artificiellement, une assimilation à laquelle ils aspireraient.
Situation complexe, comportements difficiles à comprendre : alors que la puissance coloniale enferme par la violence le colonisé dans un moule qui doit le contraindre et le rendre compatible avec l’assimilation, elle fait mine de croire, de dire haut et fort que c’est lui, le colonisé, qui la réclame, avec insistance parfois.
Il y aurait évidemment beaucoup à dire, dans ce cadre historique, des revendications successives des colons blancs – comme on l’a vu, dès l’origine de la colonisation -, des anciens libres – c’est-à-dire des affranchis avant 1848 – et des « nouveaux libres / nouveaux citoyens » émancipés par le décret du 27 avril 1848.
Pourquoi les anciens et les nouveaux libres ont-ils adopté des comportements mimant ceux des colons blancs ? Pour répondre à cette question, il faut entrer profondément dans l’histoire de nos îles et relire mon ouvrage "La liberté assassinée. Guadeloupe, Guyane, Martinique et La Réunion, 1848-1856" (L’Harmattan, 2005).
Mes recherches ont mis en évidence un déroulement de l’abolition et une période cruciale de la colonisation après 1848. Une terrible répression s’abat sur les populations de la Guadeloupe et de Martinique pour les contraindre à oublier le passé, à adopter un nouveau mode de consommation - de produits français -, à se soumettre aux programmes, limités à l’agriculture, de l’Ecole élémentaire entre les mains des religieux, à l’Eglise et à la presse des colons.
L’Etat français utilise, pour arriver à ses fins, toutes les armes dont il dispose à cette époque : violences administratives, appareil judiciaire, bagnes, police, gendarmerie, armée, marine. L’objectif principal est alors, pour les colonisateurs, de « contenir les Nègres ». Sous le système esclavagiste, les milices des colons suffisaient à régler cette question. Après l’abolition de l’esclavage, face aux Nègres émancipés, l’administration coloniale innove et crée un type de répression qui correspond mieux à ses visées assimilationnistes.
Après 1870, les colonisés n’ont aucune chance de sortir de leur cage et certains d’entre eux se mettent à quémander ce que l’Etat colonial leur susurre à l’oreille depuis des décennies. En mars 1946, les carottes sont cuites : la France a obtenu gain de cause. Les colonies ont été pieds et poings liés livrées, consommées, digérées.
Des colonies métamorphosées en départements ! Il suffit alors pour l’Etat de bien faire claxonner que ce sont les colonisés eux-mêmes qui ont voulu cette assimilation ! Le pendu s’est lui-même offert au bourreau pour qu’on lui passe le nœud coulant au cou. Il ne reste plus qu’à l’Etat "pimp" (maquereau) qu’à dresser ses danseuses exotiques, à les fouetter, à les mettre au pas du turbin.
Les colonies insulaires que la France collectionne lui permettent en 2009 d’occuper le deuxième rang mondial, derrière les USA, pour la superficie de son domaine maritime (11 millions de km2). Une énorme Zone Economique Exclusive (ZEE) que l’Hexagone peut exploiter à sa guise.
Les consommateurs programmés par les décrets organiques d’avril 1848 deviennent des citoyens assistés, menacés par l’exil ou le chômage, soumis aux sollicitations de la grande distribution possédée par les békés. Comment empêcher qu’ils s’y noient, parfois avec délices ?
Pour finir, un dernier mot : prenons garde, ne laissons pas les charlatans ou les ignares influencer nos croyances et nos comportements. L’assimilation, contrairement à ce que chantonnent certains plumitifs, n’est qu’une mystification. Une mystification qui nous a coûté cher, très cher (il faut le reconnaître). Guadeloupéens, Martiniquais, nous devons terminer seuls l’entreprise de destruction du système colonial commencée par nos ancêtres en mai 1848.
Oruno D. LARA, le 4 avril 2009
Elle propose une réponse qui se fonde en partie sur la lecture d’un livre : "Histoire de l’assimilation. Des « vieilles colonies » françaises aux départements d’outre-mer. La culture politique de l’assimilation en Guyane et aux Antilles françaises (XIXe et XXe siècles)", 2006.
Il suffit de lire attentivement le titre complet de cet ouvrage pour s’apercevoir immédiatement, ce qui saute aux yeux, que l’auteur limite son exposé aux XIXe et XXe siècles.
Pour lui, l’histoire de l’assimilation coloniale débute en France, après la Restauration, dans les années 1815-1820 :« Les signes avant-coureurs de la culture politique de l’assimilation apparaissent, dans les colonies des Antilles et de la Guyane françaises, lors de la lutte engagée par les ‘gens de couleur libres’ notamment sous la Restauration (1815-1830) » (p. 15).
S’étant volontairement limité à de telles origines, l’auteur semble ignorer ou ne veut pas nous dire – alors pourquoi le cacher ? – que le concept d’assimilation appliqué aux colonies françaises apparaît en 1795, dans le célèbre discours du conventionnel François Antoine BOISSY d’ANGLAS.
L’histoire de l’assimilation est étroitement associée, dès le XVIIe siècle, à la colonisation française et aux revendications des colons. Mais en 1795, la théorie est fixée, généralisée après la première abolition de l’esclavage en février 1794, et surtout, en pleine période de rébellion et de guerre coloniale à Saint-Domingue.
Le grand soulèvement des Nègres esclaves de la plaine du Nord de la colonie française de Saint-Domingue a inauguré, en août 1791, un processus de destruction du système colonial et du système esclavagiste.
La Guadeloupe et la Martinique sont alors deux colonies, l’une française et l’autre anglaise, susceptibles de rompre avec la puissance de tutelle. C’est la raison pour laquelle le député de la Convention élabore son concept d’assimilation, qui va déterminer les fondements de la politique coloniale française jusqu’en 1946.
Dans son "Rapport et projet d’articles constitutionnels relatifs aux colonies, présentés à la Convention Nationale au nom de la Commission des Onze dans la séance du 17 thermidor an III" (4 août 1795), BOISSY d’ANGLAS avait notamment précisé : « Rattachons les colonies à nous, par un gouvernement sage et ferme, par les liens d’un intérêt commun, par l’attrait puissant de la liberté. Que les colonies soient toujours françaises, au lieu d’être seulement américaines ; qu’elles soient libres, sans être indépendantes ; qu’elles fassent partie de notre république indivisible et qu’elles soient surveillées et régies par les mêmes lois et le même gouvernement ; que leurs députés, appelés dans cette enceinte, y soient confondus avec ceux du peuple entier qu’ils seront chargés de représenter ; qu’ils y délibèrent sur tous les intérêts de leur commune patrie, inséparables des leurs. Au lieu des assemblées coloniales, dont la liberté pourrait s’alarmer, et dont l’autorité nationale pourrait redouter l’influence, nous vous proposerons de diviser les colonies en différents départements. »
Une fois qu’on a compris clairement la volonté, le souci de la puissance coloniale d’empêcher toute velléité d’indépendance des territoires qu’elle occupe, on comprendra mieux la mystification qui en découle.
D’une part, répétons-le, la puissance coloniale, la France en l’occurrence, impose à ses territoires dépendants, sa politique d’assimilation – au sens de BOISSY d’ANGLAS ; d’autre part, les colonisés, piégés dans la nasse d’une telle politique, sont mis à contribution pour solliciter, artificiellement, une assimilation à laquelle ils aspireraient.
Situation complexe, comportements difficiles à comprendre : alors que la puissance coloniale enferme par la violence le colonisé dans un moule qui doit le contraindre et le rendre compatible avec l’assimilation, elle fait mine de croire, de dire haut et fort que c’est lui, le colonisé, qui la réclame, avec insistance parfois.
Il y aurait évidemment beaucoup à dire, dans ce cadre historique, des revendications successives des colons blancs – comme on l’a vu, dès l’origine de la colonisation -, des anciens libres – c’est-à-dire des affranchis avant 1848 – et des « nouveaux libres / nouveaux citoyens » émancipés par le décret du 27 avril 1848.
Pourquoi les anciens et les nouveaux libres ont-ils adopté des comportements mimant ceux des colons blancs ? Pour répondre à cette question, il faut entrer profondément dans l’histoire de nos îles et relire mon ouvrage "La liberté assassinée. Guadeloupe, Guyane, Martinique et La Réunion, 1848-1856" (L’Harmattan, 2005).
Mes recherches ont mis en évidence un déroulement de l’abolition et une période cruciale de la colonisation après 1848. Une terrible répression s’abat sur les populations de la Guadeloupe et de Martinique pour les contraindre à oublier le passé, à adopter un nouveau mode de consommation - de produits français -, à se soumettre aux programmes, limités à l’agriculture, de l’Ecole élémentaire entre les mains des religieux, à l’Eglise et à la presse des colons.
L’Etat français utilise, pour arriver à ses fins, toutes les armes dont il dispose à cette époque : violences administratives, appareil judiciaire, bagnes, police, gendarmerie, armée, marine. L’objectif principal est alors, pour les colonisateurs, de « contenir les Nègres ». Sous le système esclavagiste, les milices des colons suffisaient à régler cette question. Après l’abolition de l’esclavage, face aux Nègres émancipés, l’administration coloniale innove et crée un type de répression qui correspond mieux à ses visées assimilationnistes.
Après 1870, les colonisés n’ont aucune chance de sortir de leur cage et certains d’entre eux se mettent à quémander ce que l’Etat colonial leur susurre à l’oreille depuis des décennies. En mars 1946, les carottes sont cuites : la France a obtenu gain de cause. Les colonies ont été pieds et poings liés livrées, consommées, digérées.
Des colonies métamorphosées en départements ! Il suffit alors pour l’Etat de bien faire claxonner que ce sont les colonisés eux-mêmes qui ont voulu cette assimilation ! Le pendu s’est lui-même offert au bourreau pour qu’on lui passe le nœud coulant au cou. Il ne reste plus qu’à l’Etat "pimp" (maquereau) qu’à dresser ses danseuses exotiques, à les fouetter, à les mettre au pas du turbin.
Les colonies insulaires que la France collectionne lui permettent en 2009 d’occuper le deuxième rang mondial, derrière les USA, pour la superficie de son domaine maritime (11 millions de km2). Une énorme Zone Economique Exclusive (ZEE) que l’Hexagone peut exploiter à sa guise.
Les consommateurs programmés par les décrets organiques d’avril 1848 deviennent des citoyens assistés, menacés par l’exil ou le chômage, soumis aux sollicitations de la grande distribution possédée par les békés. Comment empêcher qu’ils s’y noient, parfois avec délices ?
Pour finir, un dernier mot : prenons garde, ne laissons pas les charlatans ou les ignares influencer nos croyances et nos comportements. L’assimilation, contrairement à ce que chantonnent certains plumitifs, n’est qu’une mystification. Une mystification qui nous a coûté cher, très cher (il faut le reconnaître). Guadeloupéens, Martiniquais, nous devons terminer seuls l’entreprise de destruction du système colonial commencée par nos ancêtres en mai 1848.
Oruno D. LARA, le 4 avril 2009