DEUX MOTS À CAMILLE CHAUVET, À PROPOS DE L’ADHÉSION DE RODOLPHE DÉSIRÉ AU PPM EN AOÛT 1967 Par Edouard Delépine


Rédigé le Mercredi 31 Aout 2011 à 17:04 |

De la Rédaction: Cet article répond à un commentaire anonyme suite à une tribune libre d'Edouard Delépine pour une candidature de Rodolphe Désiré aux sénatoriales de 2011. Le commentaire anonyme établissait une comparaison entre RD et Serge Larcher. Le premier devenait secrétaire général sitôt son adhésion au PPM, le second était le candidat PPM aux sénatoriales sitôt son adhésion à ce parti politique. Edourd Delépine répond ...


Mon cher Camille,
Je n’ai évidemment pas l’intention de répondre aux commentateurs anonymes. Les militants progressistes ont autre chose à faire dans la situation actuelle. Mais un de nos jeunes élus, que j’estime, a repris, avec un mélange d’innocence et, me semble-t-il, d’inquiétude, un des arguments développés par un de ces commentateurs légers du Naïf que l’anonymat dispense de ce minimum de rigueur indispensable à un certain niveau du débat politique que j’espérais autour de la lettre que j’ai adressée à la direction du Parti en juin dernier.
Pour ce commentateur, repris par mon jeune camarade, j’aurais moi-même implicitement et, selon lui, sans même m’en rendre compte, justifié a posteriori l’investiture de Larcher comme candidat du Parti deux jours près son adhésion au Parti, en rappelant que Rodolphe Désiré avait été nommé Secrétaire Général du Parti au lendemain de son adhésion. Que cet argument vienne d’un jeune élu, il est vrai, lui aussi, tardivement venu au Parti, peut se comprendre.
Que cela vienne de militants probablement mieux informés de l’histoire de ce parti me paraît lamentable et, avant de venir aux arguments qui me semblent devoir être pris en compte, bien au-delà et bien au-dessus de la personne de Rodolphe Désiré pour la désignation de nos candidats, je veux rappeler deux ou trois choses que je ne suis certainement pas le seul à connaître dans ce parti.

Rodolphe n’a pas adhéré au PPM à la veille d’une élection pour se faire élire, après avoir tenu à marquer et à garder ses distances avec le PPM pendant 23 ans, comme notre sénateur sortant. Il l’a fait au terme d’une longue réflexion de trois à quatre ans, dont 14 mois passés en prison, en un temps où le parti était relativement seul à gauche, déjà durement critiqué par cette gauche plus ultra qu’extrême, encore vagissante mais terriblement hargneuse et, surtout, surtout, furieusement attaqué par la droite.
Je rappelle qu’il n’y avait pas un seul PPM parmi les emprisonnés de l’OJAM en 1963. Il y avait à Fresnes 5 communistes : Guy Dufond, Hervé Florent , Gesner Mencé, Joseph René Corail, Roland Lordinot. Ils y ont même constitué une cellule, la cellule Julian Grimau. Les autres n’étaient affiliés à aucune organisation politique connue. Ceux que l’on désignait sous le nom de radicalisants, beaucoup plus forts à l’extérieur qu’à l’intérieur de la prison, étaient plus proches des « Rastignacs piaffant encadrés par des condottiere grisonnants » dénoncés par Césaire dans un article célèbre « Le temps des tueurs » publié dans le Progressiste du 18 juillet1963. Je note en passant que, accompagné de l’un de ces Rastignac piaffant, un de ces condottieres grisonnants que le SERMAC a tenu à honorer à l’occasion du 40e anniversaire du Festival culturel de Fort de France, a violemment reproché à Rodolphe, d’avoir trahi l’OJAM, en adhérant à ce parti que méprisaient les « radicalisants ». Rodolphe a été le seul des emprisonnés de l’OJAM, je répète le seul, à défendre pied à pied Césaire et le PPM, non seulement pendant qu’il était en prison, alors que le PPM paraissait singulièrement isolé et en tout cas incompris, mais entre sa libération en avril 1964 et son adhésion au Parti. C’est ce qui lui a valu l’amitié et la confiance de Césaire, du Dr Aliker et de Camille Darsières qui l’ont chargé de rédiger le rapport politique du IIIe Congrès (1967), le premier rapport qui ait abordé de front la question nationale dans notre pays et défini clairement le PPM comme un parti nationaliste.

Quiconque a lu ce rapport, l’un des quatre documents de base, rassemblés dans une brochure qu’on remettait solennellement autrefois aux nouveaux adhérents, au début des années 1980, sait que ce texte n’a pas pu être improvisé en un jour. J’ai su, longtemps après, que ce rapport avait été discuté pendant quatre longs mois, avant ce congrès d’août 1967. J’ajoute qu’il est l’un de ceux qui, depuis la prison, ont le plus contribué sinon à mettre un terme à la grande guerre de 7 ans (1956-1963) entre le PPM et le PCM, du moins à un cessez-le-feu ou à un armistice et à une détente prolongée entre communistes et progressistes, avec le Manifeste de la Table ronde pour l’autonomie, de décembre 1963, signé par 25 organisations de gauche des Antilles et de la Guyane.

Pour la petite histoire, je note qu’il est l’un des tout premiers PPM à avoir soutenu sans réserve la révolution cubaine avant et même après (hélas !) l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes soviétiques en août 1968. Tu ne peux pas avoir oublié, toi, qu’il nous a accompagné plusieurs fois sur les pentes de la Sierra Nuestra, le Morne Gommier au Marin, pour commémorer l’anniversaire de l’assaut de Fidel Castro à la Moncada. Je me rappelle l’avoir passablement chambré quand il a fait construire en hommage au guerillero héroïque, une yole de course baptisée CHÉ, un hommage qu’aucun dirigeant communiste du PCM n’eût accepté de parrainer, avant la normalisation de la Cuba de Castro par les soviétiques.
Last but not least, en cette circonstance, je te signale que Rodolphe Désiré aurait pu se faire élire dès 197O s’il l’avait souhaité, n’importe où à Fort-de-France, entre autres, chez toi, Bô Kan-nal ou Terres-Sainville quand Césaire et le Dr Aliker ont décidé de se retirer du Conseil Général. Césaire lui demandait de lui succéder sur le canton de Rive Droite que, pour des raisons politiques autant que pour des raisons de santé, il souhaitait laisser à un candidat plus jeune. Rodolphe a préféré laisser ce canton à un candidat foyalais, pour se lancer dans un travail plus ingrat, celui de l’implantation du Parti en dehors de Fort de France, dans cette Martinique rurale où le parti avait quasiment disparu : au Prêcheur d’abord dès 1959 avec Auguste Joyau, entre autres parce que le PPM avait préféré investir pour les sénatoriales Georges Marie-Anne, passé au RPR deux ans plus tard, plutôt que seul membre de la direction fédérale du PCF à avoir suivi Césaire en 1956, puis en 1961 à Saint Joseph avec Émile Maurice, à Sainte Anne avec Isambert Cléoron, à Bellefontaine avec Ernest Renard, en 1961, au Gros-Morne enfin, en 1967, avec la mort d’Aristide Maugée, le beau-frère de Césaire, premier maire progressiste de ce pays en dehors de Fort-de-France

Il fallait beaucoup d’audace et une inaltérable confiance en Césaire et en soi-même pour se lancer dans la reconquête de la Martinique rurale par un Parti alors assiégé dans Fort de France par une droite qui n’avait jamais été aussi insolente parce qu’elle n’avait jamais aussi totalement bénéficié du soutien inconditionnel d’un pouvoir colonial arrogant, sûr de lui et dominateur. Il aura mis 15 et 16 ans à conquérir le premier canton (1982) et la première commune progressistes (1983) de ce pays en dehors de Fort-de-France et à relancer ainsi l’idée qu’il n’était pas seulement nécessaire mais possible de sortir le PPM du ghetto de Fort-de-France.C’est dire qu’il faut être singulièrement ignorant de l’histoire des années sombres du PPM (1961-1970) ou avoir un singulier mépris de cette histoire pour faire un rapprochement si distant qu’il puisse être entre les conditions d’adhésion de Rodolphe Désiré au Parti en août 1967 et celle du sénateur Larcher en juillet 2011.

Édouard de Lépine
Le Robert 10/08/2011


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