DEPART - de la « Cie les enfants de la mer »Vue par José ALPHA

C’est en marge du 42ème Festival culturel de Fort de France que la pièce DEPART mise en scène par José Exelis de la Cie « Les enfants de la mer », a été programmée vendredi dernier pour une soirée, à l’Atrium Centre culturel départemental.
Le public était malheureusement trop clairsemé pour rencontrer Mme Jade N’Guyen, comédienne, danseuse et musicienne d’origine vietnamienne dirigée pour la circonstance par José Exelis dans l’exercice d’une mise en scène qui rassemble, autour du texte de l’haïtienne Stéphane Martelly, des variations asiatiques, antillaises, haitiennes et négro américaines.




Jeff Baillard et Alex Bernard, respectivement guitariste chanteur et contre-bassiste, ne ponctuent pas seulement les saveurs créoles qui se dégagent de l’alchimie poétique de l’œuvre théâtralisée, ils la portent avec délicatesse pour servir les rythmes de la comédienne qui joue en évolutions corporelles, chantées et dansées, l’épreuve de l’insupportabilité de soi dans un monde cruel et morbide.

Comme toute épreuve, la peine comporte deux faces, positive et négative : elle torture et conforte, affaiblit et grandit, amoindrit le corps et le savoir jusqu’à les détruire, ennoblit la connaissance pour réinventer une santé physique et mentale que la comédienne livre avec talent à l’auditoire qui la suit au-delà de ses limites corporelles dans la pénombre du rituel.

Des feuilles blanches envahissent le lieu où se meuvent le piano, la guitare, la voix de la contre basse et celle mise en écho de la possédée, en résonnance avec le monde de l’Ogun (Orisha dans la mythologie Yoruba). Car c’est bien de possession qu’il s’agit ici, la jeune femme prostrée qui s’envole, s’affaisse, se tord, se mutile, est possédée par cette douleur qui se rapporte à la crise des Loâ ( les invisibles). Cette présence en soi d’un être étranger à soi, comme d’un amour perdu, pourquoi pas, s’exprime ici à travers l’énigme de la possession dramatique que le metteur en scène martiniquais traduit de l’impression poétique de l’auteure.
C’est dans cet espace étrange fait de silhouettes, d’ombres, de vèvè (imaginés), de grincements de ferrailles, d’eau purificatrice et de musiciens (esprits Pétro) qu’évolue le corps de la femme devant les voyeurs médusés que nous sommes ; un corps qui se torture, se danse, se chante comme un souffle vital , source de libération des désordres, des troubles, tremblements, cris, gémissements et servitudes.
Cette recréation de la pièce Départ par José Exelis, dont la première version date de 2007, remet le Théâtre à son plan de création autonome et pur. Le drame n’évolue pas entre des sentiments, mais entre des états d’esprit eux-mêmes ossifiés à des gestes, des schémas comme le Théâtre Balinais cher à Antonin Arthaud, l’Atharvavéda hindoue et le Théâtre chinois pour ne citer que ceux là.

Et le Théâtre existe, il tient son rôle, il multiplie, amplifie en nous cette vie originelle qui devient une énigme dont l’une des réponses se situe manifestement dans l’invention d’un au-delà avec lequel nous communiquons incompréhensiblement par la poésie, par l’esprit, par une interprétation de la réalité.
Le texte de Stéphane Martelly se comprend aussi par la beauté de la femme dans l’épreuve. Le terme épreuve a ici un sens unique sous deux acceptions presque opposées, dirait Michel Serres : expérience et critère, danger ou malheur.

Quant à elle, la femme, tendue comme un arc dont la flèche pointe l’ouverture de l’ailleurs, « cherche les chemins (qui mènent) à une ville transitoire où mourir sera possible » : Haïti.
Une belle tournée populaire aux Antilles, en Caraïbe, en Haïti et en Europe favoriserait le Théâtre des cultures créoles.

Samedi 27 Juillet 2013

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