Une salle comble par plus de 150 personnes qui ont manifesté leur intérêt pour cette période (1939-1943) au cours de laquelle Aimé Césaire et les rédacteurs de la Revue Tropiques ( René Ménil, Suzanne Césaire, Lucie Thésée, Aristide Maugée, Georges Gratiant) constitués en « groupe d'intellectuels », ont effectivement résisté au régime de Vichy soutenu en Martinique par l'Amiral Robert dès le lendemain de la capitulation de la France en 1941.
Documents à l'appui, commentaires, anecdotes et bien entendu avertissements à l'adresse des contradicteurs qui doutent de l'action de Césaire dans un tel conflit, ont captivé l’auditoire. L’historien a mis en lumière les actions menées par Aimé Césaire et son groupe en faveur des populations de la Martinique qui vivaient dans le dénuement, l’ignorance et la misère dans la colonie.
Alors que de nombreux martiniquais sont partis en dissidence, la résistance s'organisait ici en Martinique; et le groupe de Césaire s’est donné pour mission de développer l'éducation, l'instruction des populations et de la jeunesse mais également d’entretenir l'esprit critique, l'esprit de liberté face à une brutale assimilation aux doctrines de l'occupant relayées par les troupes pétainistes qui dépersonnalisaient totalement autant la jeunesse que les familles des anciens de la guerre de 14-18.
L'équipe rédactrice de Tropiques a résisté politiquement avec ses armes, affirme le conférencier, à travers la poésie, le théâtre, les analyses et les relais de textes, contre l'invasion de "l'ombre" comme l'exprime clairement Césaire dans le préambule du numéro 1 de la revue, paru au mois d'avril 1941.
Il ne s’agissait pas d’affronter les propagandistes du régime de Vichy trop bien armés sur le territoire martiniquais, en soulevant des populations encore traumatisées par la défaite de la première guerre au cours de laquelle de nombreux antillais ont servi de chair à canon. Il s’agissait pour Aimé Césaire d’éduquer, de fournir aux populations les éléments de compréhension des vrais enjeux de cette deuxième guerre, par une action méthodique sous couvert de Culturel.
Camille Chauvet lit à ce moment le passage de l’entretien avec Aimé Césaire de Jacqueline Leiner, paru dans le premier numéro de la revue Tropiques, en pointant la réponse suivante : « … nous avions voulu faire une revue culturelle… mais nous ne pouvions rien faire d’autre ! il fallait être extrêmement prudent; n’oubliez pas que nous étions soumis à la censure, le culturel pouvait passer, à la rigueur, à condition de faire très attention ! D’où le caractère un peu - je ne dirai pas anodin – mais enfin un peu « particulier » des articles. Puis, petit à petit, nous nous sommes enhardis. La situation devenant chaque jour intenable, nous avons dû prendre des positions de plus en plus politiques. Le problème culturel ne pouvait plus être posé en lui-même, ni être résolument par lui-même, il supposait un engagement politique !… »
Les nombreuses situations d’accaparement des populations organisées par le régime pétainiste, présentées par le conférencier avec des articles de presse, des tracts, des photos, et des textes de Aimé Césaire, de René Ménil, de Suzane Césaire, illustrent bien la mobilisation de chacun contre ce que de nombreux résistants ont dénommé « l’occupation de la Martinique ».
Il fallait éveiller les populations, comme sait le faire l’action culturelle, tout en évitant l'affrontement direct avec les forces d'occupation en Martinique. Et puis la lettre réponse faite au Lieutenant de vaisseau Bayle qui supprima, au mois de mai 1943, la fourniture de papier à l'édition de la revue jugeant celle ci subversive et pourvoyeuse d'idées de révolte, créa l’émotion au sein de l’auditoire.
La voici :
Réponse de Tropiques à M. Le Lieutenant de Vaisseau Bayle – Fort de France le 12 mai 19943
Nous avons reçu votre réquisitoire contre Tropiques.
‘Racistes », « sectaires », « révolutionnaires », « ingrats et traitres à la Patrie », « empoisonneurs d’âmes », aucune de ces épithètes ne nous répugne essentiellement.
« Empoisonneurs d’âmes » comme Racine, au dire de Messieurs de Port-Royal. « Ingrats et traitres à notre Mère Patrie » comme Zola, au dire de la presse réactionnaire. « Révolutionnaires » comme l’Hugo des « Chatiments ». « Sectaires », passionnément comme Rimbaud et Lautréamont. « Racistes », oui. Du racisme de Toussaint Louverture, de Claude Mac Ray et de Langston Hugues – contre celui de Drumont et de Hitler.
Pour ce qui est du reste, n’attendez de nous ni plaidoyer, ni vaines récriminations ni discussion même. Nous ne parlons pas le même langage.
Signé : Aimé Césaire, Suzanne Césaire, Georges Gratiant, Aristide Maugée, René Ménil, Lucie Thésée.
Une conférence animée qui favorisa l'échange entre la salle et le conférencier dont la thèse de doctorat jusqu'à présent restée confidentielle, sera vraisemblablement éditée bientôt.
José ALPHA